Achille Jubinal, De la descorde de l’Université et des Jacobins
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première
  fois par Achille Jubinal, Nouvelle édition revue et corrigée, A. Jubinal, 1874 : Paris, Paul Daffis, vol. 1, pp. 178-182.
   
  De la
  Descorde de l’Université et des Jacobins[1].
  Mss. 7218, 7615, 7633.
   
1 Rimer m’eſtuet d’une deſcorde
2 Qu’à Paris a ſemé Envie
3 Entre gent qui miſéricorde
4 Sermonent & honeſte vie.
5 De foi, de pais & de concorde
6 Eſt lor langue must replenie,
7 Mès lor manière me recorde
8 Que dire & fere n’i ſoit mie.
   
9 Sor Jacobins eſt la parole.
10 Que je vos vueil conter & dire,
11 Quar chaſcuns de Dieu nous parole,
12 Et ſi deffent corouz & ire ;
13 Et c’eſt la riens qui l’âme afole,
14 Qui la deſtruit & qui l’empire :
15 Or guerroient por une eſcole
16 Où il vuelent à force lire2].
   
17 Quant Jacobin vindrent el monde,
18 S’entrèrent chiés Humilité :
19 Lors eſtoient & net & monde
20 Et ſ’amoient Divinité ;
21 Mès Orguex, qui toz biens eſmonde,
22 I a tant mis iniquité
23 Que par lor grant chape roonde
24 Ont verſé l’Univerſité[3].
   
25 Chaſcuns d’els déuſt eſtre amis
26 L’Univerſité voirement,
27 Quart l’Univerſité a mis
28 En els tout le bon fondement,
29 Livres, deniers, pains & demis[4] ;
30 Mès or lor rendent malement,
31 Quar cels deſtruit li anemis
32 Qui plus l’ont ſervi longuement.
   
33 Miex lor veniſt, ſi com moi membre[5],
34 Qu’alevez ne ſ’éuſſent pas :
35 Chaſcuns à ſon pooir deſmembre
36 La meſnie ſaint Nicholas,
37 L’Univerſité ne ſi membre
38 Qu’ils ont miſe du trot au pas,
39 Quar tel herberge-on en la chambre
40 Qui le ſeignor gète du cas[6].
   
41 Jacobin ſont venu el monde
42 Veſtu de robe blanche & noire :
43 Toute bontez en els abonde,
44 Ce puet quiconques voudra croire.
45 Se par l’abit ſont net & monde.
46 Vous ſavez bien, ce eſt la voire ;
47 S’uns leus avoit chape roonde
48 Si reſambleroit-il provoire[7].
   
49 Se lor oevre ne ſe concorde
50 A l’abit qu’amer Dieu deviſe,
51 Au recorder aura deſcorde
52 Devant Dieu au jor du juiſe ;
53 Quart ſe Renart çaint une corde
54 Et veſt une cotele griſe,
55 N’en eſt pas ſa vie mains orde :
56 Roſe eſt bien ſor eſpine aſſiſe[8].
   
57 Il puéent bien dire preudomme :
58 Ce vueil-je bien que chaſcuns croie ;
59 Mès ce qu’il pledoient à Romme
60 L’Univerſité m’en deſvoie[9] !
61 Des Jacobins vous di la ſomme :
62 Por riens que Jacobins acroie,
63 La peléuré d’une pomme
64 De lor dete ne paieroie.
   
  Explicit la Descorde de l’Université et des Jacobins.
 

[1] Cette pièce est relative aux dissensions qui font le sujet de la complainte de Guillaume de Saint-Amour, dissensions commencées en 1253, mais qui ne s’éteignirent que longtemps après. Elle est postérieure au Diz de l’Universitei de Paris. Voici l’explication des faits qu’elle relate. A la suite des désordres dont parle le Diz de l’Universitei, cette dernière avait fermé ses classes et interrompu ses leçons. Les Dominicains, que la querelle des écoliers et des bourgeois ne regardait pas, laissèrent ouverts les deux enseignements dont ils jouissaient depuis leur fondation. L’Université voulut les obliger à licencier leurs élèves. Les Dominicains en appelèrent au Roi d’abord, remplacé par le comte de Poitiers pendant son absence, puis à Rome. C’est à ce moment, ou du moins quand les bruits de leur protestation revinrent de Rome à Paris, que Rutebeuf écrivit sa pièce. On voit, par les derniers vers de la seconde strophe, que la querelle n’était point encore terminée, qu’elle était pendante auprès du pape, et que par conséquent cette pièce a du être écrite vers 1254, et, en tout cas, avant le 12 avril 1255, date de la bulle qui accorda à tous les religieux le droit d’ouvrir des chaires.

[2] Il s’agissait en effet de réduire les Ordres religieux, qui, profitant de la faute qu’avait commise l’Université de cesser ses leçons, avaient érigé des chaires où ils enseignaient la théologie aux laïques, chacun à une chaire publique, ainsi que je l’ai dit à la note K du deuxième volume de ma première édition de Rutebeuf.

[3] Les Jacobins, dans le premier temps de leur fondation, afin de vaquer plus librement à la prédication, avaient résolu de n’avoir ni fonds de terre ni revenus. Ils ne tardèrent pas à manquer à cette résolution, et leur ordre devint si considérable qu’on fut obligé de le diviser, comme un royaume, en quarante-cinq provinces. L’ordre de Saint-Dominique a fourni trois papes, plus de soixante cardinaux, près de cent cinquante archevêques et environ huit cents évêques.

[4] Lors de l’arrivée des Jacobins à Paris, l’Université leur donna une maison qui lui appartenait, et qui était située vis-à-vis l’église Saint-Étienne-des-Grès, ne leur demandant, pour toute reconnaissance, que des prières et le droit de sépulture chez eux. Il est probable qu’elle ajouta à ce don ceux dont parle Rutebeuf.

[5] Ms. 7633. Var. semble.

[6] Lafontaine a dit :

                   Laissez-leur prendre un pied chez vous,

                   Ils en auront bientôt pris quatre.

[7] Provoire, prêtre, provisor.

[8] Ce dernier trait, tombe sur les Cordeliers, qui étaient vêtus de drap gris et ceints d’une corde, ce qui leur avait fait donner leur nom.

[9] On voit par ce vers, et par celui de la troisième strophe où Rutebeuf dit que les Jacobins ont renversé l’Université, que cette pièce n’a dû être composée que sur la fin de leurs dissensions, lorsqu’on commença à voir clairement que l’Université était vaincue.

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