J. Bastin & E. Faral, La mort Rutebeuf
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, J. Bastin & E. Faral, 1959-1960 : Paris, Picard, vol. 1, pp. 575-578.
   
  La mort Rustebeuf. fol. 332 r°
   
  I
1 Lessier m’estuet le rimoier,
2 Quar je me doi moult esmaier
3 Quant tenu l’ai si longuement.
4 Bien me doit le cuer[1] lermoier,
5 C’onques ne me poi amoieramoier (soi) AQ 5 : s’appliquer — AS 654 : se modérer.
6 A Dieu servir parfetement,
7 Ainz ai mis mon entendement
8 En geu et en esbatement,
9 Qu’ainz ne daignai nés saumoiersaumoier, AQ 9 : chanter les psaumes. .
10 Se por moi n’est au Jugement
11 Cele ou Diex prist aombrementaombrement, AS 1056, AQ 11, s. m. : incarnation.,
12 Maumau, AQ 12, adj. régime sing. ; AD 96 : adj. nom. : mauvais. marchié pris au paumoierpaumoier, AQ 12, inf. substantivé : conclusion du marché en se frappant dans les mains.[2].
  II
13 Tart serai mésmés, ne... més, més que, ne més que ; F 105, U 26, AQ 13, U 58, més : désormais — AV 337, més : plutôt — F 2, U 57 ne... més : ne plus ; U 30, ne... més : aucunement ; AK 65 ne... més : ni jamais — AL 60, més que : seulement que — AK 133, més que, AB 222 mais que, AT 164 més que : pourvu que — AK 162, à entendre : ne... més : ne... plus, désormais, ou més que : pourvu que — E 16 ne més que : sauf que ; BD 298 ne més que : à condition que. au repentir,
14 Las moi, c’ onques ne sot sentir
15 Mes fols cuers quels est repentance
16 N’a bien fere lui assentir !
17 Comment oseroie tentirtentir, AQ 17 : proférer une parole.
18 Quant nes li juste avront doutance[3] ?
19 J’ai toz jors engressié ma pance[4]
20 D’autrui chatel, d’autrui substance :
21 Ci a bon clerc, au miex mentir[5] !
22 Se je di : « C’est par ignorance,
23 Que je ne sai qu’est penitance »,
24 Ce ne me puet pas garantir.
  III
25 Garantir ? Las ! en quel maniere ?
26 Ne me fist Diex bonté entiere
27 Qui me dona sens et savoir
28 Et me fist a sa forme chierechiere, AQ 28, AU 303, BD 139, 188, BF 143 : visage — AK 92, BE 100, faire laide chiere : faire mauvais visage ; AT 1420 faire bele chiere : faire beau visage ; AT 1640 a bele chiere : d’un air accueillant — AV 700 enclina la chiete : baissa la tête, salua.[6] ?
29 Encor me fist bonté plus chiere,
30 Que por moi vout mort recevoir.
31 Sens me dona de decevoir
32 L’Anemi qui me veut avoir
33 Et metre en sa chartre premiere,
34 La dont nus ne se puet ravoir
35 Por priere ne por avoir : fol. 332 v°
36 N’en voi nul[7] qui reviegne arriere.
  IV
37 J’ai fet au cors sa volenté,
38 J’ai fet rimes et s’ai chanté
39 Sor les uns por aus autres plere,
40 Dont Anemis m’a enchantéenchanter, M 2, inf. passif : être ensorcelé ; L 133, ind. pr. 3 m’enchante : trouble ma raison ; AH 53 enchantent ind. pr. 6 : ensorcèlent ; V 38, enchantei, p.p., K 44, p. p. m. pl. enchanté : ensorcelés ; AQ 40, enchanté, p. p. : trompé, abusé.
41 Et m’ame mise en orfentéorfenté, AQ 41, AU 453, AT 1052 : malheur — L 112 : privation d’enfant.
42 Por mener a felon repere.
43 Se Cele en qui toz biens resclereresclere, AQ 43, ind. pr. 3 de resclerer : resplendir.
44 Ne prent en cure mon afere,
45 De malemale, adj., O 39, 147 : malcommode, difficile — AG 61, AQ 45, O 206, AV 42 : mauvaise, méchante ; O 340 : coléreuses. Voir mau. rente m’a renté
46 Mes cuers ou tant truis de contrairecontraire, E 88, contrere : affliction, tourment — AQ 46 : opposition, mauvais vouloir — AL 12, Z 58, AV 548 contrere : contrariété, ennui — U 36 (par) contraire. :
47 Fisicienfisicien, AQ 47, BF 50 : médecin — E 41, maîtres de la faculté de médecine. n’apoticaire
48 Ne me pueent doner santé.
  V
49 Je sai une fisicienefisiciene, AQ 49 : femme médecin, guérisseuse.
50 Que[8] a Lions ne a Viane
51 Ne tant comme li siecles dure[9]
52 N’a si bone serurgiene.
53 N’est plaie, tant soit anciene,
54 Qu’ele ne netoie et escure,
55 Puis qu’ele i veut[10] metre sa cure.
56 Ele espurja de vie obscure
57 La beneoite Egypciene[11] :
58 A Dieu la rendi nete et pure.
59 Si com c’est[12] voirs, si praingne en cure
60 Ma lasse d’ame[13] crestiene !
  VI
61 Puis que morir voi foible et fort,
62 Comment prendrai en moi confort
63 Que de mort me puisse desfendre ?
64 N’en voi nul, tant ait grant esfortesfort, AQ 64 : force, puissance. ,
65 Que des piez n’ost le contrefort[14],
66 Si fet le cors a terre estendre.
67 Que puis je, fors la mort atendre ?
68 La mort ne lest ne dur ne tendre
69 Por avoir que l’en li[15] aport ;
70 Et quant li cors est mis en cendre,
71 Si covient a Dieu reson rendre
72 De quanques fist dusqu’a la mort.
  VII
73 Or ai tant fet que ne puis més[16],
74 Si me covient lessier en pés[17] ;
75 Diex doinst que ce ne soit trop tart !
76 Toz jors ai acreü mon fés,
77 Et oi dire a clers et a lés :
78 « Com plus couve li feus plus art[18]. »
79 Je cuidai engingner Renart :
80 Or n’i valent engin ne art,
81 Qu’asseür est en son palés.
82 Por cest sieclesiecle, s. m., AE 331, AB 126, 133, W 14, 29, V 31, 51, T 20, 42, 128, P 4, etc. : monde — AM 91 : genre de vie ; AQ 82 : monde. qui se departdepartir, R 55, AT 851 ; E 84, depart, ind. pr. 3 ; AT 316 departoit, imparf. 3 ; AT 1287 departi, parf. 3 ; O 628 departi, p. p. : distribuer — AT 1157, BD 85, departir, inf. ; BA 58 departe, subj. pr. 3 : (neutre) se séparer — R 120, AQ 82, AX 125, se depart, ind. pr. 3 ; BC prose, me departi, parf. 1 ; O 627, s’en sont departi, pf. comp. 6 de departir (soi) ; s’en aller — O 631 depart, ind. pr. 3 : fait partir ; O 633 departiz, p. p. : envoyés — T 148 departie, p. p. : divisée, débandée — AT 432 l’enfance est departie : en allée — Y 88 li departirs, inf. subst. : le partage.
83 M’en covient partir d’autre part[19] :
84 Qui que l’envieenvie, AQ 84, ind. pr. 3 de envier : désirer., je le léslés, AQ 84, ind. pr. 1 de lessier : laisser, abandonner, ou (voir note) de laier, même sens.[20].
   
  Ci faut la mort Rustebuef.
   
   
Manuscrits : A, fol. 332 r° ; C, fol. 2 v° ; D, fol. 25 r° ; R, fol. 37 r°.
Texte et graphie de A.
Titre : C Ci coumence la repentance Rutebuef, D Ci commance la repentance de Rustebuef, R mq. Une miniature représente Rutebeuf agenouillé devant la Vierge et l’Enfant. — 2 R d. bien e. — 4 CR li cuers — 5 CD me soi, R me seuc9 C C’onques n’i dignai s. ; D d. si (exponctué) nos s. — 10 D n’est a j. — 12 C Mon m. p. a p. ; D a paiement — 14 R ne poc s. — 15 C M. soz c. que c’est r. ; D M. ses c. ; R De mon las cuer k’est repentance — 16 R f. moi a. — 17 CDR oserai je — 19 C engrassié, R encrassié me p. — 21 C c. a m. ; D au miens m. — 22 R di che c’est i. — 23 R Que ne sace k’est repentanche — 24 D me mq. — 25 C G. diex en — 27 D Que ; C sen — 28 CDR en sa f. chiere, A forme fiere — 29 R plus fiere — 30 CR Qui (R Ki) — 32 C vuet, D velt, R volt — 33 DR en la c. — 36 D Ne v. ; A nus — 37 R f. mon c.— 39 CD Sus ; D autre — 40 D D. aucuns m’a — 41 R mis42 CDR m. au f. — 43 C cui ; R esclaire — 44 C m’enfertei — 45 D tente m’a tenté — 48 CDR m’en50 C a licar ne a vienne, D a lion ni a vianne, R Que jusc’a lyons n’a vienne — 51 C Non t. com touz li, D N’en tant com tout li, R N’en tant que tous li — 52 D N’a tant b., R N’a si tres boinne ; A fusiciene, C serurgienne, D cerurgienne, R surgiienne — 53 D N’a p. — 54 C nestoie, D nestoit — 55 CDR i vuelle metre c. — 57 D benoite — 59 C com est ; DR prenez (R prendés) — 64 D Ne v. — 66 C t. atandre — 68 C mors, R Li mors — 70 R ert71 R Se couverra ; C c. l’arme r. r. — 72 CDR quanqu’om — 73 D f. c’or ne — 74 CD c. tenir en — 75 D que ne soit trop a t. — 76 C J’ai touz jors a. — 77 CDR Et j’oi ; D d. et c. et l., R d. c. et l. — 78 D le feu — 79 R engnier — 80 D mq. ; R Mais n’i — 81 D Quar seür ; C est mq. — 83 CDR Me couvient — 84 C le las — A Après l’explicit : Expliciunt tuit li dit Rustebuef ; C Explicit, D Explicit la repantance Rustebuef, R l’explicit mq.
 

[1] le cuer (mss. AB), li cuers (mss. CR) : cf. C 58 et note.

[2] paumoier, toper, pour donner son accord, dans la main de celui avec qui on conclut un marché. Cf. Sohaiz desvez (M. R., t. V, p. 190, v. 172), et le substantif paumee, désignant le même usage.

[3] Quand, au Jugement dernier, même les justes auront peur. Cf. X 144-145, et AE 75-77 et note.

[4] 19-20. Cf. Notice et F 21-22 et note.

[5] au miex mentir, « en disant tout le contraire de la vérité ».

[6] 28-29. Au v. 28, par la leçon en, les mss. C, D, R s’opposent à A, qui donne a, leçon meilleure, vu le texte de la Genèse (ad imaginem.). — Mais pour la suite, la rime fiere : chiere, dans A, fait de fiere, un qualificatif peu acceptable de forme. La leçon chiere : chiere, dans C, D, est la meilleure (« me fit visage à son image ; ... encore plus précieuse »).

[7] nus, dans A, au lieu de nul, est sans doute fautif.

[8] Que, « telle que ».

[9] li siecles dure, « le monde s’étend ». — Les exemples de comme devant initiale consonantique sont très rares chez Rutebeuf, et discutables. Au lieu de comme li, donné par A, il faut sans doute, avec C, D, R, lire com touz li.

[10] veut (A), indicatif, sens proprement temporel ; vuelle (C, D, R), subjonctif, idée conditionnelle.

[11] 57-58. Sans doute peut-on déduire de cette mention que Rutebeuf avait déjà écrit sa vie de la pécheresse.

[12] ce renvoie non pas à ce qui suit, mais à ce qui précède (l’histoire de l’Égyptienne).

[13] ma lasse d’ame. Cf. AU 108. Sur cette construction, voir Tobler, V. B., I, n° 20.

[14] « à qui elle n’ôte le soutien de ses pieds » (= qu’elle ne l’abatte).

[15] li, « à la mort ».

[16] Cf. E 54 et note. Ici, ne puis més = « je ne puis faire davantage, je ne puis continuer ».

[17] La leçon tenir, de C, D, indique, pour me covient lessier en pés, le sens « il me faut rester tranquille ».

[18] Proverbe : Morawski, n° 2083, et variantes.

[19] C, D, R donnent me covient (sans en) « il faut partir » sans dire que ce soit « partir du siècle » — Dans A, l’adverbe en pourrait renvoyer à siecle, mais pas forcément : il peut n’être que partie du verbe s’empartir, « s’en aller », décomposé en ses deux éléments, par suite de l’emploi de covient. — Par ailleurs, le complément d’autre part serait une superfluité, si m’en... partir avait le sens plein de « quitter le siècle ». Rien donc, dans le passage, d’une idée d’entrée en religion. Comparer plutôt avec les trois vers finaux de AO, où il s’agit de recourir à d’autres moyens de vivre.

[20] Traductions : « Nul n’y peut rien : je l’abandonne » (Clédat, p. 22) ; — « Le désire qui voudra, moi je l’abandonne » (Hoepffner). C’est-à-dire que le représenterait le siecle. Mais ce n’est pas certain. Dans ces deux traductions, envier est pris en des sens mal autorisés. D’autre part, l’envier (le neutre) est aussi un terme de jeu : « proposer de continuer une partie en augmentant la mise sur laquelle on avait joué » (Saint Pierre et le jongleur, dans M. R., t. V, p. 71, v. 194) ; et laier ou le laier (le neutre) est également employé dans la langue du jeu pour dire : « quitter la partie » (ibid., v. 198, où l’ait est à lire lait, et où l’un des deux mss. donne quil lait = qui le lait). Il n’est donc pas interdit de comprendre ici : « Propose qui voudra de continuer la partie ; moi je la quitte (je renonce) ».

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