J. Bastin & E. Faral, Le dit de Pouille
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, J. Bastin & E. Faral, 1959-1960 : Paris, Picard, vol. 1, pp. 437-439.
   
  Ci encoumence li diz de Puille.
   
  I
1 Cil Damediex qui fist air, feu et terre et meir,
2 Et qui por notre mort senti le morsmors, s. m., W 2, Z 118, T 160 : morsure — AC 34, AF 7 : morceau. ameir,
3 Il doint saint paradix, qui tant fait a ameir,
4 A touz ceulz qui orront mon dit sans diffameirdiffameir, W 4 : dire du mal de. !
  II
5 De Puille est la matyre que je vuel coumancier
6 Et dou roi de Cezile, que Dieux puisse avancier
7 Qui vodrat elz sainz cielz semance semanciersemancier, P 32, W 7 : semer.
8 Voissevoize, BC 7, subj. pr. 1 de aler : aller ; U 128, R 168, BG 70, AL 89, voist, subj. pr. 3 ; W 8, voisse, subj. pr. 3 ; Z 80, Y 131, voit, subj. pr. 3 (graphie du ms. C) ; W 40, X 85, voisent, subj. pr. 6. aidier au boen roi qui tant fait a prisier.
  III
9 Li boens rois estoit cuens d’Anjou et de Provance,
10 Et s’estoit filz de roi, freres au roi de France.
11 Bien pertpert, W 11, Y 71, F 59, A 9 : ind. pr. 3 de paroir : paraître. qu’il ne vuet pas faire Dieu de sa pancepance, O 732, AE 282, W 11, X 111, faire dieu de sa p. : s’en tenir aux jouissances matérielles.[1]
12 Quant por l’arme sauveir met le cors en balance.
  IV
13 Or preneiz a ce garde, li groz et li menu[2],
14 Que, puis que nos sons nei et au sieclesiecle, s. m., AE 331, AB 126, 133, W 14, 29, V 31, 51, T 20, 42, 128, P 4, etc. : monde — AM 91 : genre de vie ; AQ 82 : monde. venu,
15 S’avons nos pou a vivre, ç’ai ge bien retenu ;
16 Bien avons mains a vivre quant nos sommes chenu.
  V
17 Conquerons paradix quant le poons conquerre ;
18 N’atendons mie tant mesleemeslee, W 18, p. p. : faussée (en parlant d’une serrure). soit la serreserre, s. f., U 34, W 18 : serrure — Y 116, mettre en s. : mettre en sa garde — AU 573, estre en s. : enfermé..
19 L’arme at tantost son droit que li cors est en terre ;
20 Quant sentance est donee, noians est de plus querre.
  VI
21 Dieux done paradix a touz ses bienvoillans :
22 Qui aidier ne li vuet bien doit estre dolans.
23 Trop at contre le roi d’Yaumons et d’Agoulans[3] ;
24 Il at non li rois Charles, or li faut des Rollans.
  VII
25 Sains Andreuz[4] savoit bien que paradix valoit
26 Quant por crucefier a son martyre aloit. fol. 59
27 N’atendons mie tant que la mors nos aloitalot, W 27, subj. pr. 3 de aloiier : mettre dans les liens.,
28 Car bien serions mort se teiz dons nos failloit[5].
  VIII
29 Cilz[6] sieclessiecle, s. m., AE 331, AB 126, 133, W 14, 29, V 31, 51, T 20, 42, 128, P 4, etc. : monde — AM 91 : genre de vie ; AQ 82 : monde. n’est pas sieclessiecle, s. m., AE 331, AB 126, 133, W 14, 29, V 31, 51, T 20, 42, 128, P 4, etc. : monde — AM 91 : genre de vie ; AQ 82 : monde., ainz est chans de bataille,
30 Et[7] nos nos combatons a vins et a vitaillevitaille, W 30 : victuailles. ;
31 Ausi prenons le tens com par ci le me tailletaille (com par ci le me taille), W 31, AB 217 : sans se donner de peine.[8],
32 S’acreonsacroire, AB 219, AG 93, inf. ; B 62, acroie, subj. 3 : emprunter sur gages, prendre à crédit (fig.). — Dans les exemples qui suivent, la métaphore repose sur l’idée que le pécheur est le débiteur de Dieu et qu’il lui laisse en gage son âme et son corps (sa peau) : AE 30, or poons sur noz piauz a. ; AT 249, acroient sor lor piaus, ind. pr. 6 ; AT 252, sor ses piaus n’acrut, parf. 3 ; W 32, acreons sur noz ames, ind. pr. 4 ; AV 238, acroist sor sa lasse d’ame, ind. pr. 3. seur noz armes et metons a la tailletaille (mettre a la) taille, W 32, AB 219 : dépenser à crédit — AT 1518, met a la viez taille : oublie.[9].
  IX
33 Quant vanra au paier, coument paiera l’arme,
34 Quant li cors selon Dieu[10] ne moissone ne same ?
35 Se garans ne li est Dieux et de la douce Dame,
36 Gezir l’escouvanra en parmenable flame.
  X
37 Picheour vont a Roume querre confession
38 Et laissent tout encemble avoir et mansion,
39 Si n’ont fors penitance ; ci at confusionconfusion, W 39 : mauvais marché. :
40 Voisentvoize, BC 7, subj. pr. 1 de aler : aller ; U 128, R 168, BG 70, AL 89, voist, subj. pr. 3 ; W 8, voisse, subj. pr. 3 ; Z 80, Y 131, voit, subj. pr. 3 (graphie du ms. C) ; W 40, X 85, voisent, subj. pr. 6. un pou avant[11], s’avront remission.
  XI
41 Bien est foulz et mauvais qui teil voie n’emprentemprent, W 41, Z 45, ind. pr. 3 de emprendre : entreprendre ; W 56, empris, p. p. m., AK 98, p. p. f. emprise — emprant, W 42, ind. pr. 3 de emprendre : enflammer, brûler.
42 Por eschueireschueir, W 42 : éviter, esquiver ; Z 69 eschuia, parf. 3 ; AG 25, eschui, ind. pr. 1 de eschuir (soi) : échapper à quelque chose, s’esquiver. Cf. eschiver. le feu qui tout adésadés, Z 108 : toujours ; W 42, tout adés : sans cesse. emprantemprent, W 41, Z 45, ind. pr. 3 de emprendre : entreprendre ; W 56, empris, p. p. m., AK 98, p. p. f. emprise — emprant, W 42, ind. pr. 3 de emprendre : enflammer, brûler. ;
43 Povre est sa conciance quant de rien nounou, no, AE 43, Z 88, W 43, N 20, no : ne le. reprent ;
44 Pou prise paradix quant à ce ne se prent.
  XII
45 Gentilzgentilz, W 45, AC 33 : noble. cuens de Poitiers, Dieux et sa douce Meire
46 Vous doint saint paradyx et la grant joie cleire !
47 Bien li aveiz montrei loiaul amour de frere ;
48 Ne vos a pas tenu couvoitize l’aveireaveire, W 48, adj. f. s. : cupide. .
  XIII
49 Bien i meteiz le votrevotre (le), pronom, W 49, Z 112, AE 121 : votre bien, votre argent., bien l’i aveiz ja mis ;
50 Bien moustreiz au besoing que vos iestes amis[12].
51 Se chacuns endroit soi s’en fust si entremis,
52 Ancor oanoan, ouan, W 52, (ancor) oan : cette année même F 49, ouan : maintenant ; BB 26 : cette année. eüst Charles mains d’anemis.
  XIV
53 Prions por le roi Charle : c’est por nos maintenir[13] ;
54 Por Dieu et sainte Eglize s’est mis au couvenircouvenir, W 54, se mettre au couvenir, inf. subst. : s’en remettre au hasard. Cf. coviengne..
55 Or prions Jhesucrit que il[14] puist aveniravenir, U 8 : arriver, se réaliser — W 55 : parvenir, réussir à.
56 A ce qu’il a emprisemprent, W 41, Z 45, ind. pr. 3 de emprendre : entreprendre ; W 56, empris, p. p. m., AK 98, p. p. f. emprise — emprant, W 42, ind. pr. 3 de emprendre : enflammer, brûler. et son ostost, oz, s. m., U 117, AC 94, 27, W 56, AK 86 : armée. maintenir.
  XV
57 Prelat, ne grouciezgrouciez, W 57, impér. 5 de groucier : grogner. mie dou dizeimedizime, W 57 : décime, nom appliqué depuis le règne de Ph.-Auguste à l’impôt ecclésiastique du dizième du revenu net pour subvenir aux dépenses des Croisades. (Cf. L. Bourgain. Voir aussi F. Lot, La France..., p. 185). paier,
58 Mais priez Jhesucrit qu’il pance d’apaierapaier, W 58 : acquitter une dette — A 86, 87, p.p. : guéris — apaier (soi) AT 353 ; AG 106, s’apaie, ind. pr. 3 : s’acquitter — AB 227, m’apaie, ind. pr. 1 de apaier (soi) a quelqu’un : se réconcilier avec quelqu’un. ;
59 Car se ce n’a mestiermestiers (estre m.), U 66, Y 44, 111, 123, X 43, AK 90, R 138, AS 660, AV 516 : être nécessaire — mestier (avoir m. a), W 59, AE 288 : être utile à — mestier (avoir m. de), X 130, J 188, AT 9, Z 125 : avoir besoin de., sachiez sanz delaierdelaier, W 59 : tarder ; Z 83 delait, subj. pr. 3 — AC 113 delaiant, gérond. : retardant.
60 Hom panrra a meïmesmeïsmes, W 60, prendre a m. : prendre à même. Voir J. Orr, On Homonymies, p. 294., si porroiz abaierabaier, W 60 ; AK 124, abaie, ind. pr. 3 : aboyer.[15].
   
  Explicit.
   
   
Manuscrit : C, fol. 58 v°.
Graphies normalisées : c’estoit, v. 10 ; s’ai, v. 15 ; ces, v. 21 ; c’en v. 51 ; c’est, v. 54. — Ms. : 36 les couvanra — 43 rien mq. — 52 moult d’anemis.
 

[1] faire Dieu de sa pance. Cf. O 732 et note.

[2] 13-16. Thème courant. Cf. Z 97 ss. ; Recueil de chansons pieuses, p. p. (Jarnström, I, p. 21, str. III : « Quant li lions naist, lors commence a morir ; et quant plus vit, et moins a a durer » ; etc.

[3] 23-24. Par allusion au nom de Charlemagne, que rappelle celui du nouveau roi de Sicile.

[4] Le nom de s. André vient sans doute ici en raison de ce qu’il représentait pour les croisés. L’auteur de l’Histoire anonyme de la première croisade (éd. L. Bréhier, pp. 133-134) raconte comment le saint apparut à Pierre Barthélemy, lui fit découvrir la sainte Lance en présence des chefs croisés, et lui annonça la prochaine victoire des chrétiens (la prise d’Antioche, le 28 juin 1098).

[5] mort, spirituellement. — dons, celui du paradis.

[6] cilz, leçon peut-être erronée, au lieu de cist.

[7] Et, « Et pourtant ».

[8] com par ci le me taille, « sans nous donner de mal ». Cf. AB 217. Sur cette expression, voir P. Meyer (Romania, t. VI, 1877, p. 498) et G. Paris (ib., t. XVIII, 1889, p. 288 ; reproduit dans Mélanges linguistiques, p. 593). Le sens originel de par ci le me taille et celui de la comparaison qui en a été tirée sont clairement indiqués dans un sermon de Nicolas de Biard (Hauréau, N. E., t. II, p. 288) : « Magistri caementariorum (les contremaîtres maçons), virgam et cyrothecas (les plans) in manibus habentes, dicunt aliis Par ci le me taille (taille-moi cette pierre à cet endroit), et nihil laborant et tamen majorem mercedem accipiunt ».

[9] A expliquer par l’idée courante qu’il faut dès cette vie payer le prix du bonheur céleste.

acroire, au propre « prendre à crédit » ; au figuré, comme ici, « ne pas payer dès cette vie le prix du salut éternel ». De là l’expression acroire sor son ame (AV 238), « engager son âme (qui paiera par sa damnation) ». De là aussi acroire sor sa piau (AE 30 ; AT 249 et 252), « engager son corps, sa personne même ». Ce dernier sens apparaît clairement dans Henri de Valenciennes, § 640 : « se Rollans puet iestre de nul d’iaus en saisine, il auront acreü sour lor piaus (ils auront à payer de leur corps) ».

mettre a la taille, « inscrire par une encoche sur un bâtonnet la reconnaissance d’une dette » (généralement chez le boulanger).

[10] selon Dieu, « comme Dieu l’entend ». Cf. G 77.

[11] un pou avant, « un peu plus loin » (en Pouille).

[12] amis, « un ami ». Allusion à un proverbe bien connu (Morawski, nos 170, 171 ; Proverbe au vilain, Tobler n° 72 et note).

[13] maintenir, leçon suspecte : il est difficile de trouver au mot, dans un hémistiche d’ailleurs peu clair, une nuance de sens justifiant la rime avec le même au vers 56.

[14] il, Charles.

[15] 57-60. Il s’agit de la résistance opposée alors par le clergé au paiement du dixième (voir Introduction, Les circonstances historiques, p. 86, et Notice, La date, 2°, b). Entendre : « Ne grognez pas pour payer le dixième, mais priez plutôt Jésus-Christ de s’occuper d’acquitter (votre dette), car, si cela ne sert à rien (si votre prière reste sans effet), sachez que sans délai l’on prendra à même (sur vos biens), et vous pourrez toujours aboyer ». Le conseil du v. 58 est, naturellement, une ironie. — apaier se dit, entre autres sens, pour « satisfaire (un créancier) ». ce n’a mestier est une locution courante. Pour l’idée « donnez, ou l’on vous prendra », cf. le proverbe « qui ne done, l’en lui toult » (Morawski, n° 2022), et dans Hauréau, N. E., t. IV, p. 66 : « Date nobis, vel auferremus a vobis. »

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