J. Bastin & E. Faral, L’Ave Maria Rustebuef.
word Télécharger le texte en version Word (avec notes)
pdf Télécharger le texte en version PDF (avec notes)
excel Télécharger le texte en version Excel (sans notes)
pdf Télécharger la fiche des manuscrits (PDF)
lien Consulter les manuscrits
lien Consulter l'édition panoptique de ce texte
Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, J. Bastin & E. Faral, 1959-1960 : Paris, Picard, vol. 2, pp. 240-244.
   
  L’Ave Maria Rustebuef.  fol. 328 r°
   
1 A toutes genz qui ont savoir
2 Fet Rustebués bien a savoir
3        Et les semont
4 Cels qui ont les cuers purs et mont[1]
5 Doivent tuit deguerpir le mont
6        Et debouter,
7 Quar trop covient a redouter
8 Les ordures a raconter
9        Que chascuns conte ;
10 C’est veritez que je vous conte.
11 Chanoine, clerc et roi et conte
12        Sont trop aver ;
13 N’ont cure des ames sauver,
14 Més les cors baignier et laver
15        Et bien norrir ;
16 Quar il ne cuident pas morir
17 Ne dedenz la terre porrir,
18        Més si feront,
19 Que ja garde ne s’i prendront
20 Que tel morsel engloutiront
21        Qui leur nuira,
22 Que la lasse d’ame cuira
23 En enfer, ou ja nel lera[2]
24        Estez n’yvers.
25 Trop par sont les morsiaus divers
26 Dont[3] la char menjuent les vers
27        Et en pert l’ame.
28 Un salu de la douce Dame,
29 Por ce qu’ele nous gart de blasme,
30        Vueil commencier,
31 Quar en digne lieu et en chier
32 Doit chascuns metre sanz tencier
33        Cuer et penssee.
   
  Ave, roïne coronee !
35 Com de bone eure tu fus nee,
36        Qui Dieu portas !
37 Theophilus reconfortas
38 Quant sa chartre li raportas
39        Que l’Anemis,
40 Qui de mal fere est entremis,
41 Cuida avoir lacié et mis
42        En sa prison.
43 Maria, si com nous lison,
44 Tu li envoias garison
45        De son malage,
46 Qui deguerpi Dieu et s’ymage
47 Et si fist au deable hommage
48        Par sa folor ;
49 Et puis li fist, a sa dolor,
50 Du vermeil sanc de sa color
51        Tel chartre escrire
52 Qui devisa tout son martire ;
53 Et puis aprés li estuet dire
54        Par estavoirestovoir (par), G 19 : inévitablement — F 94, AV 474, AX 54, AT 502 : obligatoirement ; AT 1245 : sur son ordre (de Conrad), sans désobéissance possible. :
55 « Par cest escrit fet a savoir
56 Theophilus ot por avoir
57        Dieu renoié. »
58 Tant l’ot deables desvoié
59 Que il estoit toz marvoiémarvoié, AX 59 : égaré.
60        Par desperance ;
61 Et quant li vint en remembrante
62 De vous, Dame plesant et franche,
63        Sanz demorer
64 Devant vous s’en ala orer ;
65 De cuer commença a plorer
66        Et larmoier ;
67 Vous l’en rendistes tel loier,
68 Quant de cuer l’oïstes proier,
69        Que vous alastes,
70 D’enfer sa chartre raportastes,
71 De l’Anemi le delivrastes
72        Et de sa routeroute, rote, AX 72 : suite ; AH 29, AL 126, G 24, AT 1842, Z 32 : compagnie, suite ; AT 368 : série de choses..
73 Gracia plena estes toute :
74 Qui ce ne croit il ne voit goute
75        Et le compere.
76 Dominus li sauveres Pere
77 Fist de vous sa fille et sa mere,
78        Tant vous ama ;
79 Dame des angles vous clama ;
80 En vous s’enclost, ainz n’entama
81        Vo dignité,
82 N’en perdistes virginité.
83 Tecum par sa digne pité
84        Vout toz jors estre
85 Lasus en la gloire celestre ;
86 Donez le[4] nous ainsinques estre
87        Lez son costé.
88 Benedicta tu qui osté
89 Nous as del dolereus osté
90        Qui tant est ors
91 Qu’il n’est en cest siecle tresors
92 Qui nous peüst fere restors
93        De la grant perte
94 Par quoi Adam fist la desertedeserte, s. f., Y 59, AB 78, AS 14 : récompense — AE 326, AX 94 : punition.[5].
95 Prie a ton fil qu’i nous en terdeterde, AX 95, subj. pr. 3 de terdre : nettoyer, purifier.
96        Et nous esleve
97 De l’ordure qu’aporta Eve fol. 328 v°
98 Quant de la pomme osta la seve,
99        Par qoi tes fis,
100 Si com je sui certains et fis,
101 Souffri mort et fu crucefis
102        Au vendredi
103 (C’est veritez que je vous di)
104 Et au tiers jor, plus n’atendi,
105        Resuscita.
106 La Magdelene visita[6],
107 De toz ses pechiez la cuitacuita, AX 107, parf. 3 de quiter : tenir quitte.[7]
108        Et la fist saine.
109 De paradis es la fontaine,
110 In mulieribus et plaine
111        De seignorie.
112 Fols est qui en toi ne se fie.
113 Tu hez orgueil et felonie
114        Seur toute chose ;
115 Tu es li lis ou Diex repose ;
116 Tu es rosiers qui porte rose
117        Blanche et vermeille ;
118 Tu as en ton saint chief l’oreille[8]
119 Qui les desconseilliez conseille
120        Et met a voie ;
121 Tu as de solaz et de joie
122 Tant que raconter n’en porroie
123        La tierce part.
124 Fols est cil qui pensée autre part
125 Et plus est fols qui se departdepartir, R 55, AT 851 ; E 84, depart, ind. pr. 3 ; AT 316 departoit, imparf. 3 ; AT 1287 departi, parf. 3 ; O 628 departi, p. p. : distribuer — AT 1157, BD 85, departir, inf. ; BA 58 departe, subj. pr. 3 : (neutre) se séparer — R 120, AQ 82, AX 125, se depart, ind. pr. 3 ; BC prose, me departi, parf. 1 ; O 627, s’en sont departi, pf. comp. 6 de departir (soi) ; s’en aller — O 631 depart, ind. pr. 3 : fait partir ; O 633 departiz, p. p. : envoyés — T 148 departie, p. p. : divisée, débandée — AT 432 l’enfance est departie : en allée — Y 88 li departirs, inf. subst. : le partage.
126        De vostre acorde,
127 Quar honesté, misericorde
128 Et patience a vous s’acorde
129        Et abandone.
130 Hé ! benoite soit la corone
131 De Jhesucrist, qui environe
132        Le vostre chief ;
133 Et benedictus de rechief
134 Fructus qui soufri grant meschief
135        Et grant mesaise
136 Por nous geter de la fornaise
137 D’enfer, qui tant par est pusnaise,
138        Laide et obscure.
139 Hé ! douce Virge nete et pure,
140 Toutes fames por ta figure[9]
141        Doit l’en amer.
142 Douce te doit l’en bien clamer,
143 Quar en toi si n’a point d’amer
144        N’autre durté :
145 Chacié en as toute obscurté.
146 Par la grace, par la purté
147        Ventris tui,
148 Tuit s’en sont deable fuï ;
149 N’osent parler, car amuï
150        Sont leur solas.
151 Quant tu tenis et acolas
152 Ton chier filz, tu les afolas
153        Et maumeïs.
154 Si com c’est voirs que tu deïs :
155 « Hé ! biaus Pere qui me feïs,
156        Je sui t’ancele »,
157 Toi depri je, Virge pucele,
158 Prie a ton Fil qu’il nous apele
159        Au jugement,
160 Quant il fera si aigrement
161 Tout le monde communement
162        Trambler com fueille,
163 Qu’a sa partie nous acueille !
164 Disons Amen, qu’ainsi le vueille !
   
  Explicit l’Ave Maria Rustebuef.
   
   
Manuscrits : A, fol. 328 r° ; G, fol. 184 r°.
Texte et graphie de A.
Titre : G mq., A, effacé — 1 G toute gent ; en marge, à droite Q’d (= quidam) — 2 G F. uns jolis clerc a s. — 17-18 G ordre interverti, mais rétabli anciennement en marge — 22 G Qui leur lasses ames c. — 23 G ja nes l.67 G V. li r.85 G en sa g.87 G mq. (bas de colonne coupé)89 G as de d. — 95 G filz — 109 A est, G ies115-116 intervertis dans G — 121 G Et tu as de s. de j. — 124 G cilz — 131 G mq. (bas de colonne coupé)
 

[1] Vers altéré par le copiste de A (et, à sa suite, par celui de G), qui brouille souvent cas sujets et cas régimes. Cels ne peut être qu’un sujet (de doivent) et représente Cil ;mont, forme attestée par la rime, est ou bien au cas régime singulier (impossible dans le contexte) ou bien au cas sujet pluriel. D’où la supposition que le vers devrait être : Cil cui sont li cuer pur et mont.

[2] « où jamais elle (l’âme) ne cessera (de brûler), hivers comme étés ».

[3] Dont, « par suite desquels ».

[4] le en prolepse. « Accordez-nous d’être de même à son côté ».

[5] « par laquelle Adam eut ce qu’il avait mérité » (?).

[6] 106-108. Mention inattendue dans la suite du développement.

[7] la cuita (ms. A), laquita (ms. G). L’on pourrait lire l’aquita ; mais cuita est possible, quiter se disant fort bien de la remise d’une faute.

[8] l’oreille, « la pensée » (?). Cf. Trubert, v. 432 : « il li est monté en l’oreille » (il lui est venu à l’idée).

[9] 140-141. Cf. AV 498 « Par qui (à cause de qui) tote fame est aimee ». Idée venue sans doute d’une interprétation de benedicta in mulieribus, où in a été entendu non pas comme « parmi », mais « en la personne de ».

...

Valid XHTML 1.0 Transitional