J. Bastin & E. Faral, Charlot et la peau de lièvre
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, J. Bastin & E. Faral, 1959-1960 : Paris, Picard, vol. 2, pp. 256-259.
   
  Ci encoumence de Charlot le Juif
  qui chia en la pel dou lievre.
   
1 Qui menestreil vuet engignier
2 Mout en porroit mieulz bargignier ;
3 Car mout soventes fois avient
4 Que cil por engignié se tient[1]
5 Qui menestreil engignier cuide,
6 Et s’en trueve sa bource vuide.
7 Ne voi nelui cui bien en chieechiet, AU 366, ind. pr. 3 ; BA 7, chiee, subj. pr. 3 de cheoir : échoir, advenir.. fol. 62 v°
8 Por ce devroit estre estanchieeestanchiee, BA 8, p. p. de estanchier : arrêter, supprimer.
9 La vilonie c’om[2] lor fait
10 Garson et escuier sorfait
11 Et teil qui ne valent deus ciennes[3].
12        Por ce le di qu’a Aviceinnes[4]
13 Avint, n’a pas un an entier,
14 A Guillaume le penetier.
15 Cil Guillaumes dont je vos conte,
16 Qui est a mon seigneur le conte
17 De Poitiers, chassoit l’autre jour
18 Un lievre qu’il ert[5] a sejoursejor, sejour, s. m., AS 742, Z 38 : repos, délassement — AS 190, BA 18, être à sejour : en trêve, en congé — T 111, est sejor de : trêve — T 110 fet sejor : séjourne — H 83 a petit de sejour : en s’employant activement, en peu de temps..
19 Li lievres, qui les chiens douta[6],
20 Molt durement se desrouta,
21 Asseiz foï et longuement,
22 Et cil le chassa durement ;
23 Asseiz corrut, asseiz ala,
24 Asseiz guenchiguenchir, AT 1962 : éviter en se détournant ; BA 24 guenchi, parf. 3 : tourna. et sa et la,
25 Mais en la fin vos di ge bien
26 Qu’a force le prirent li chien.
27 Pris fu sire Coars li lievres ;
28 Mais li roncinsronci, s. m., M 40, BA 28 roncins, BC prose roncin : roussin, cheval de forte taille que l’on montait surtout à la guerre. — « Faire d’asne ronci », M 40, traduit par M. Cl. Brunel, Bibl. de l’É. des Chartes, t. 82, 1921, pp. 76-8 par « employer des asnes à la place de chevaux ». Il faut plutôt comprendre : améliorer sa situation. (Les Trinitaires montaient d’abord des ânes ; ils sont arrivés à posséder des roussins.) en ot les fievres,
29 Et sachiez que mais ne les tremble[7] :
30 Escorchiez en fu, ce me cemble.
31 Or pot cil son roncin ploreir
32 Et metre la pel[8] essoreir.
33 La pel, se Diex me doint salu,
34 Couta plus qu’ele ne valu.
35 Or laisserons esteir la pel,
36 Qu’il la garda et bien et bel
37 Juqu’a ce tens que vos orroiz
38 Dont de l’oïr vos esjorroiz.
39        Par tout est bien choze commune,
40 Ce seit chacuns, ce seit chacune,
41 Quant un hom fait noces ou feste
42 Ou il a genz de bone geste,
43 Li menestreil, quant il l’entendent,
44 Qui autre choze ne demandent,
45 Vont la, soit amont soit aval,
46 L’un a pié, l’autres a cheval[9].
47 Li couzins Guillaume en fit unes[10]
48 Des noces, qui furent communes,
49 Ou asseiz ot de bele gent
50 Dont mout li fu et bel et gent :
51 Se[11] ne sai ge combien i furent.
52 Asseiz mangerent, asseiz burent,
53 Asseiz firent et feste et joie.
54 Je meïmes, qui i estoie,
55 Ne vi piesa si bele faire
56 Ne qui autant me peüst plaire,
57 Se Diex de ses biens me reparte.
58 N’est si grans corscors, s. f., BA 58 : cour. qui ne departedepartir, R 55, AT 851 ; E 84, depart, ind. pr. 3 ; AT 316 departoit, imparf. 3 ; AT 1287 departi, parf. 3 ; O 628 departi, p. p. : distribuer — AT 1157, BD 85, departir, inf. ; BA 58 departe, subj. pr. 3 : (neutre) se séparer — R 120, AQ 82, AX 125, se depart, ind. pr. 3 ; BC prose, me departi, parf. 1 ; O 627, s’en sont departi, pf. comp. 6 de departir (soi) ; s’en aller — O 631 depart, ind. pr. 3 : fait partir ; O 633 departiz, p. p. : envoyés — T 148 departie, p. p. : divisée, débandée — AT 432 l’enfance est departie : en allée — Y 88 li departirs, inf. subst. : le partage.[12] :
59 La bone gent s’est departie ;
60 Chacuns s’en va vers sa partie.
61 Li menestreil, trestuit huezeihuezei, BA 61 : bottés.,
62 S’en vindrent droit a l’espouzei ;
63 Nuns n’i fu de parleir lanierslaniers, BA 63, n’i fu de parleir l. : couard. :
64 « Doneiz nos maîtres ou deniers[13],
65 Font il, qu’il est droit et raison,
66 S’ira chacuns en sa maison. »
67        Que vos iroie je dizant
68 Ne mes paroles esloignant ?
69 Chacuns ot maitre, nes Challoz,
70 Qui n’estoit pas molt biauz valloz.
71 Challoz ot a maitre celui
72 Qui[14] li lievres fist teil anui.
73 Ses lettres li furent escrites,
74 Bien saellees et bien dites ;
75 Ne cuidiez pas que je vos boizboiz, BA 75, subj. pr. 1 de boisier : tromper..
76 Challoz en est venuz au bois[15] :
77 A Guillaume ses lettres baille. fol. 63 r°
78 Guillaumes les resut cens faille,
79 Guillaumes les conmance a lire,
80 Guillaumes li a pris a dire :
81 « Challot, Charlot, biauz dolz amis[16],
82 Vos estes ci a moi tramis
83 Des noces mon couzin germain ;
84 Mais je croi bien par saint Germain
85 Que vos cuit teil choze doneir,
86 Que que en doie gronsonneirgronsonneir, BA 86 : grogner. ,
87 Qui m’a coutei plus de cent souz,
88 Se je soie de Dieu assouz ! »
89 Lors a apelei sa maignie
90 Qui fu sage et bien enseignie :
91 La pel du lievre rova querre
92 Por cui il fist maint pas de terre[17].
93 Cil l’aportent grant aleüre,
94 Et Guillaumes de rechief jure :
95 « Charlot, se Diex me doint sa grace
96 Ne se Dieux plus grant bien me face,
97 Tant me cousta com je te di. »
98 — Hom n’en avroit pas samedi,
99 Fait Charlos, autant au marchié,
100 Et s’en aveiz mainz pas marchié :
101 Or voi ge bien que marcheant
102 Ne sont pas toz jors bien cheant[18]. »
103        La pel prent que cil li tendi.
104 Onques graces ne l’en rendi,
105 Car bien saveiz n’i ot de quoi.
106 Pencis le veïssiez et quoi ;
107 Pencis s’en est issus la fuer,
108 Et si pence dedens son cuer,
109 Se il puet, qu’il li vodra vendre[19].
110 Et il li vendi bien au rendre !
111 Porpenceiz s’est que il fera
112 Et comment il li rendera.
113 Por li rendre la felonie
114 Fist en la pel la vilonie, —
115 Vos saveiz bien ce que vuet dire.
116 Arier vint et li dist : « Biau sire,
117 Se ci a riens, si le preneiz.
118 — Or as tu dit que bien seneiz ?
119 — Oïl, foi que doi Notre Dame.
120 — Je cuit c’est la coiffe ma fame
121 Ou sa toailletoailles, BB 35, BA 121, sa toaille : serviette. ou son chapel :
122 Je ne t’ai donei que la pel. »
123 Lors a boutei sa main dedens.
124 Eiz vos l’escuier qui ot gans
125 Qui furent punais et puerri
126 Et de l’ouvrage maitre Horri[20].
127 Ensi fu deus fois conchïez :
128 Dou menestreil fu espïez,
129 Et dou lievre fu mal bailliz
130 Que ses chevaus l’en fu failliz.
131 Rutebuez dit, bien m’en sovient :
132 Qui barat quiert, baraz li vient[21].
   
  Explicit.
   
   
Manuscrit C, fol. 62b.
Alinéas du ms., plus, de notre fait, aux v. 12, 67 et 103.
Graphie normalisée aux v. 57 (ces), 59, 111 (c’), 73, 77, 130 (ces). — 45 la sait am. — 65 dr. et raisons — 91 p. dun l.
 

[1] se tenir por, non pas « se considérer comme », mais « constater qu’on est ».

[2] om, précisé ensuite par garson et escuier.

[3] ciennes, à lire comme ceinnes, à cause de la rime avec Aviceinnes. Deux exemples de cine se trouvent dans Gaufrei (Godefroy ; T.-L. sous cime), où le sens est celui d’une chose de peu de prix. Peut-être comme cenelle, fruit de l’aubépine. Cf. Mario Roques, Lexiques, t. I, p. 121 « cenis, aubépine », « cenium, cenelle » ; Bausteine zur romanische Philologie (Festgabe Mussafia), p. 542 : hec scinus, aube epine », « hoc scinum, scenelle ».

[4] Aviceinnes. Peut-être le texte authentique est-il que a viceinnes.

[5] qu’il ert... : rattacher à l’autre jour.

[6] 19-30. Le mal que se donnent les chasseurs pour peu de succès est assez souvent un sujet de raillerie dans les textes. En voici un qui va assez bien avec le nôtre : « Si venator in sero respiceret lucrum totius diei, parum luderetur ; verbi gratia, aliquando affert in sero parvum leporem et occidit equum, et gravatus in itinere et lassatus. » (Sermon de Nicolas de Biard, cité par Hauréau, N. E., t. II, p. 88).

[7] Il ne « tremble plus la fièvre », puisqu’il est mort. Pour l’emploi transitif de trembler dans cette expression, cf. Roman de Renart, I, éd. Mario Roques, v. 471 : « Messires Couarz li lievres, Qui de paor tranbla les fievres ».

[8] la pel, celle du lièvre.

[9] Lire probablement : « Li uns a pié, l’autre a cheval ».

[10] unes, précisé par des noces au vers suivant.

[11] Se, selon le système graphique du scribe = Ce.

[12] Proverbe : « Il n’est feste ki ne se departe » (Hauréau, N. E., t. II, p. 281).

[13] 64 ss. A cet usage de faire récompenser par des parents ou des amis les jongleurs qui s’étaient produits dans une noce répondent des modèles de lettres fournis par les formulaires. Cf. Buoncompagno, Ars dictaminis (éd. Rockinger, dans Quellen und Erörterungen zur Bayerischen Geschichte, t. IX1, p. 163) : « Latorem (sive latricem) praesentium P., joculatorem (sive joculatricem), qui (vel quae) nostrae curiae (vel nuptiis) voluit interesse, curialitati vestrae attentius commendamus, rogantes ut eum (vel eam) nostrae dilectionis intuitu remunerari velitis ». Formules analogues dans le ms. de l’Arsenal n° 854, fol. 243 v°, et de même pour la réponse, fol. 242 v°. La recommandation s’adressait aussi parfois à des ecclésiastiques : cf. Mansi, t. XXIV, col. 615.

[14] Qui = Cui.

[15] au bois, probablement au bois de Vincennes, où était la résidence du comte de Poitiers et donc celle de Guillaume le Panetier.

[16] Répétition de l’apostrophe avec, semble-t-il, une intention de bienveillance affectée. Au contraire, avec une intention agressive dans BB 57 et AU 366.

[17] maint pas de terre, « une longue étendue de terrain » ; cf. God., « pas de pré ».

[18] bien cheant, « heureux en affaires ». Cf. AV 19-20 et note.

[19] le vendre à quelqu’un, « le bien faire payer, se venger ».

[20] Horri, cf. AM 141 et note.

[21] Nous ne connaissons pas d’autre exemple de ce proverbe sous la même forme. Cf. toutefois, pour l’idée, Morawski, n° 2172 : « Qui trecherie menne, trecherie lui vient ».

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