J. Bastin & E. Faral, Les plaies du monde
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, J. Bastin & E. Faral, 1959-1960 : Paris, Picard, vol. 1, pp. 377-381.
   
  Les plaies dou monde.
   
1 Rimer me covient de cest monde
2 Qui de tout bien se vuide et mondemonde (se), R 12, Q 2, ind. pr. 3 de monder (soi) : se débarrasser. [1].
3 Por ce que de tout bien se vuide,
4 Diex soloit tistretistre, Q 4 : tisser. et or desvuidedesvuide, Q 4, ind. pr. 3 de desvuidier : dévider (du fil). :
5 Par tens li ert failliefaillir, BD 45 ; faut, W 36, AL 9, P 30, C 60, ind. pr. 3 de faillir ; E 124, AS 475, failli, p.p. ; AD 121 fausist, subj. imp. 3 : manquer — AP 27 faut, ind. pr. 3 ; H 158 faillent, ind. pr. 6 ; AB 231 faudra, fut. 3 ; G 115, AP 27, Q 5, failliz, faillie, p.p. : faire défaut — AE 228, 305, X 173 faut, ind. pr. 3 : cesser, être défaillant — BD 10 faillent, ind. pr. 6 : ne pas tenir ses promesses — X 77, AE 225, failliez, ind. pr. 5 ; AU 172, failles, subj. pr. 2 ; AE 226 faudra, fut. 3 : faillir à quelqu’un, faire défaut à — AP 25, faille, subj. pr. 1, AP 26 failli, p. p. : faillir à quelqu’un, ne pas obtenir son aide — H 92 faillir, inf. ; F 31, BG 5, 19, p. p. : faillir a quelque chose, ne pas obtenir, perdre. traimetraime, Q 5, AL 9, AG 89, BE 76, s. f. : trame (emploi fréquent au fig.) : moyens de vivre.[2].
6 Savez porqoi nus ne s’entraime ?
7 Gent ne se vuelent entramer,
8 Qu’es cuers des genz tant entre ameramer (ameir dans le ms. C.) Z 78, H 254, D 2, AK 23, Q 8, adj. substantivé : amertume, désignant spécialement les mauvaises qualités du cœur.,
9 Cruauté, rancune et envie,
10 Qu’il n’est nus hom qui soit en vie
11 Qui ait talent d’autrui preupreu, T 16, Q 11 : profit. fere,
12 S’en fesant n’i fet son afere.
13 N’i vaut riens parenz ne parente[3] ;
14 Povre parent nus n’aparente[4]
15 Moult est parenz et pou amis.
16 Nus n’i prent més s’il n’i a mis[5] :
17 Qui riches est s’a parenté ;
18 Més povres hom n’a parent té[6],
19 S’il le tient plus d’une jornee,
20 Qu’il ne plaingneplaint, AT 2047, ind. pr. 3 ; E 156, p. p. plains ; Q 20, plaingne, subj. pr. 3 de plaindre : regretter. la sejorneesejornee, s. f., Q 20 : séjour..
21 Qui auquesauques, H 219, s’est ce auques : tant soit peu — Q 21 : quelque chose. a si est amez[7],
22 Et qui n’a riens s’est fols clamez[8].
23 Fols est clamez cil qui n’a rien :
24 N’a pas vendu tout son mesrienmerrien, mesrien, s. m. : matériau, bois de construction (jeux de mots fréquents avec més rien) E 148, D 72, R 24, AT 1279, O 283, 284, Q 24, AV 232.,
25 Ainz en a un fou[9] retenu.
26 N’est més nus qui reveste nunu, Q 26, pron. indéf. : nul (jeu de mots sur nul et nu < nudum). ;
27 Ainçois est partout la coustume[10]
28 Qu’au[11] desouz est, chascuns le plume
29 Et le gete on en la longaingne.
30 Por c’est cil fois qui ne gaaingne
31 Et qui ne garde son gaaing,
32 Qu’en povreté a grant mehaing.
33 Or avez la premiere plaie
34 De cest siecle sor la gent laie.
35        La seconde n’est pas petite
36 Qui sor la gent clergie est dite.
37 Fors escoliers, autre clergié
38 Sont tuit d’avarisce vergiévergié, Q 38, p. p. m. pl. : rayés, ornés (figure prise à l’ornementation, du heaume).[12].
39 Plus est bons clers qui plus est riches ;
40 Et qui plus a s’est li plus chiches,
41 Quar il a fet a son avoir
42 Hommage, ce vous faz savoir ;
43 Et puis qu’il n’est sires de lui,
44 Comment puet il aidier nului ?
45 Ce ne puet estre, ce me samble ;
46 Queque, conj., Z 72 : afin que ; F 110, Qu’ : parce que ; Q 46 : car ; H 12, pronom, d’un vin que : dont., plus amasse et plus assamble,
47 Et[13] plus li plest a regarder ;
48 Si se leroit avant larderlarder, Q 48 : percer de coups ; D 81, larde, ind. pr. 3, id. ; Z 34 larde, subj. pr. 3 de larder : piquer de lard, percer de coups (jeu de mots).
49 Que l’en en peüst bonté[14] trere
50 S’on ne li fet a force fere ;
51 Ainz lest bien aler et venir
52 Les povres Dieu sanz souvenir[15].
53 Toz jors aquiert jusqu’a la mort[16] ;
54 Més quant la mort a lui s’amort,
55 Que la mort vient qui le veut mordre,
56 Qui de riens n’en fait a remordre,
57 Si ne li[17] lest pas delivrer :
58 A autrui li covient livrer
59 Ce qu’il a gardé longuement ;
60 Et il muert si soudainement
61 C’on ne veut croire qu’il soit mors.
62 Mors est il com vils et comme ors
63 Et com sers a autrui chaté :
64 Or a ce qu’il a achaté.
65 Son testament ont en lien[18]
66 Ou archediacre ou diendïen, Q 66 : doyens.
67 Ou autre qui sont sisi, Q 67, adj. possessif : ses. acointe,
68 Si n’en pert puis[19] ne chiez ne pointe.
69 Se gent d’Ordre l’ont entre mains
70 Et il en donent, c’est le mains[20] ;
71 S’en donent, por ce c’on le sache,
72 Vint paire de sollers de vache[21]
73 Qui ne lor coustent que vint sous :
74 Or est cil sauvez et assous[22] !
75 S’il a bien fet, lors si le trueve,
76 Que dés lors est il en l’esprueve.
77 Lessiez le, ne vous en soviegne :
78 S’il a bien fet, bien l’en coviegne[23] !
79 Avoir de lonc tens amassé
80 Ne veïstes si tost passé,
81 Quar li maufez sa part en oste
82 Por ce qu’il a celui a oste.
83 Cil sont parent qu’au partir perent ;
84 Les lasses ames le comperent
85 Qui en reçoivent la justise,
86 Et li cors, au jor du Juïse.
87 Avoir a clers, toison a chien[24]
88 Ne pueent pas venir a bien.
89        Tout plainement, droit escolier[25]
90 Ont plus de paine que coliercolier, P 44, Q 90, s. m. : porte-faix. .
91 Quant il sont en estrange terre[26]
92 Por pris et por honor conquerre
93 Et por honorer cors et ame,
94 Si n’en sovient Romme ne fame[27] :
95 S’on leur envoie, c’est trop pou.
96 Il lor sovient plus de saint Pou[28]
97 Que d’apostre de paradis,
98 Quar il n’ont mie dis et disdis et dis, O 658 ; Q 98 ; F 50 ; AU 331 : par dizaines, en grand nombre.[29]
99 Les mars d’or ne les mars d’argent :
100 En dangier sont d’estrange gent.
101 Cels pris, cels aim et je si doi ;
102 Cels doit l’en bien moustrer au doi,
103 Qu’il sont el siecle cler semé
104 Si doivent estre miex amé.
105        Chevalerie est si grant chose
106 Que la tierce plaie n’en ose
107 Parler qu’ainsi com par defors[30] ;
108 Quar tout aussi comme li ors
109 Est li mieudres metaus c’on truise,
110 Est ce li puis la ou l’en puise
111 Tout sens, tout bien et toute honor,
112 Si est droiz que je les honor.
113 Més tout aussi com draperie
114 Vaut miex que ne fet freperie,
115 Valurent miex cil qui ja furent
116 De cels qui sont, et il si durent,
117 Quar cis siecles est si changiez
118 Que uns leus blans a toz mengiez
119 Les chevaliers loiaus et preus :
120 Por ce n’est més li siecles preus.
   
  Expliciunt les plaies du monde.
   
   
Manuscrits : A, fol. 323 v° ; B, fol. 73 r° ; C, fol. 6 v°.
Texte, graphie et alinéas de A. Autres mss. : mêmes alinéas, sauf que C n’en marque pas au v. 89.
Titre : B Les plaies dou monde, C Des plaies dou monde — 2 BC touz biens — 3 B toz biens — 4 B titre — 5 C li iert — 7 C Gens — 8 C Qu’einz c. de g. — 9 B Cruautez — 10 B Que n’est — 13 B r. parant ne — 14 A Povre parenz ; B Povres parant — 15-16 B mq. —16 C N. n’at parens c’il — 17 B Que r. e. son p. — 18 B paranté — 24 C pas tot perdu s. — 25 B fo — 27 B cousteme — 28 B chacun — 29 B Et si le g. en ; C on mq. — 30 B fox ; C Por ce est fox — 34 B sus la — 36 B sus la — 37 C escolier — 39 B c. et plus — 46 BC Com — 48 B l. ainsois l. — 49 B en oïst b. — 54 BC mors — 55 BC mors ; B v. penre — 56B a reprendre — 57 BC ne le l. — 60 B muere — 61 B c. s’il est — 62 B vis et ors — 67 B Outre qui ; C s. sui a. — 68 B ne cul ne, C ne chief ne — 71 B ce que l’an saiche — 72 BC paires — 73 B lor mq. — 78 B f. si l’en c. — 84 BC l. d’a. — 85 AB justice (B joustice) — 87C teisson— 88 CB Ne doivent — 94 A Sil98 B d. a d. — 101 B je mq. — 104 B Bien devez miex estre amez — 105 C granz — 106 C Que de la t. p. n’ose ; B ne ose — 107 B ausin comme — 109 BC truisse — 111 BC sen — 114 C fraperie — 116 BC c. c’or s. — 120 B m. si s., C m. ciz s. — B Explicit les plaies dou monde, C Explicit.
 

[1] Même vers, avec la même rime, dans R 12.

[2] 3-5. devuidier, « dévider » : tirer de la quenouille, par pincées, la laine dont elle est chargée. — filer : façonner en fil la laine prise sur la quenouille, avant de la mettre en écheveaux sur le dévidoir (dévider et filer sont deux opérations voisines, ou plutôt deux moments d’une même opération). — traime, « trame » : nom du fil fabriqué, en tant qu’il sert, entrecroisé avec la « chaîne », à tisser l’étoffe. — tisser : fabriquer l’étoffe en entrecroisant les fils de la trame et ceux de la chaîne.

Rutebeuf emploie ces divers termes parfois au propre (filer dans BE 98, et AT 1663 ; traime, dans BE 76), mais le plus souvent au figuré. « La trame venant à manquer, il faut dévider et filer pour en avoir » signifie alors : « quand on vient à manquer de ressources, il faut aviser à s’en procurer » (cf. AL 9 ; AG 89 ; AH 59). Dans notre passage, où l’image est forcée : « Jusqu’ici Dieu tissait (= le monde allait selon le bien), mais maintenant il dévide (= il avise à recréer ce qui y manque) ; car bientôt la trame va lui manquer (= le monde va aller de travers). »

[3] 13-20. Nulle aide au parent pauvre (cf. AG 88-90) : constatation ancienne (Prov., 19, 7 : Fratres hominis pauperis oderunt eum ; 14, 20 : Etiam proximo suo pauper odiosus erit), devenue sentence courante ; cf. Werner, M 67 : Multis cognatis, sed paucis fungor amicis ; Morawski, n° 1586 : « Parent parent, dolant celui qui n’a noiant » ; Des femmes, des dés et de la taverne (Méon, IV, 487, v. 65) : « Biax amis, biax parens, fertur vulgariter ; se tu as, si le pren, et nihil aliter ; se tu n’as fors le mien dicas audaciter : vraiement tu n’as rien, fui t’en velociter ». (Cf. Morawski, n° 80).

[4] n’aparente, « ne considère, ne traite comme parent ».

[5] Morawski, n° 1232 : « Metre doit qui prenre velt ».

[6] 18-20. Dictons apparentés : Morawski, n° 1562 : « Ostes et pluie a tierz jor ennuie », et, de plus près, n° 2479 : « Vien tu, parent ? Non si sovent. »

[7] Cf. « Tant as tant vaus et je tant t’ain » (O 656 et note).

[8] Des femmes (l. cit., v. 73) : « Qui rien n’a il est partot tenus vilis. »

[9] fou, jeu de mots (follis et fagus), c’est-à-dire « fou » et « hêtre ». Cf. AL 69, et T.-L., au mot fo.

[10] 27-28. Cf. O 683-684.

[11] Qu’ = « que celui qui ».

[12] 37-38. Les écoliers, parmi les clercs, sont de même exceptés de ce vice dans R 89-90.

[13] Et introduit le second terme de la corrélation.

[14] bonté, « bienfait ».

[15] sanz souvenir, « sans se soucier d’eux », ou peut-être « sans les aider » (< subvenire).

[16] 53-64. Thème des richesses qui ne suivent pas le mort.

[17] La leçon le (B, C), au lieu de li, est sans doute la bonne.

[18] 65-88. Thème que la richesse ne sauvera pas le riche après sa mort, par la faute de ses héritiers ou exécuteurs testamentaires : cf. AE 234-244. Également esquissé dans le Roman de la Rose, v. 9575-9586 (les vers 9585-9586 rappelant de près nos vers 77-78). Sur l’infidélité des exécuteurs, voir aussi F 111-119.

[19] n’en pert puis, « il n’en apparaît plus ensuite ».

[20] le mains, « le moins possible ».

[21] paire, cf. L 88 et note. — de vache, de souliers grossiers. Boivin de Provins (M. R., p. 52, v. 10) : « Ses sollers ne sont mie a laz, ainz sont de vache dur et fort ».

[22] Dit ironiquement. Cf. AE 244.

[23] bien l’en coviegne, « que ce soit à son avantage ! tant mieux pour lui ! » Cf. T.-L., II, 982, 31 ss.

[24] 87-88. Proverbe cité dans la Vie des Peres (Godefroy, X, 773 c).

[25] 89-104. Cf. P 41-49

[26] 91-92. Cf. H 14-18.

[27] Homme ne fame = « personne » (cf. H 266). — « Il n’en souvient plus à personne ; personne ne pense plus à eux (pour les aider) » : cf. v. 95.

[28] saint Pou (l’apôtre), jeu de mots avec pou (peu) du v. 95.

[29] dis et dis. Cf. F 50 et note.

[30] par defors, « en effleurant » (?). De fait, c’est la partie la plus courte du poème.

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