Achille Jubinal, De Monseigneur Anseau de l’Isle
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première
  fois par Achille Jubinal, Nouvelle édition revue et corrigée, A. Jubinal, 1874 : Paris, Paul Daffis, vol. 1, pp. 103-106.
   
  De Monseigneur Anseau de l’Isle[1],
  Ou ci encoumance
  De Monseigneur Ancéel de l’Isle.
  Mss. 7218, 7633, 7615.
   
1 Iriez[2] à maudire la mort
2 Me voudrai déſormès amordre
3 Qui adès à mordre s’amort,
4 Qui adès ne fine de mordre ;
5 De jor en jor, çà & là, mort
6 Cels dont le ſiècle fet remordre :
7 Je di que ſi grant mors a mort
8 Que Valmondois a geté d’ordre[3].
   
9 Valmondois eſt de valor monde ;
10 Bien en eſt la valor mondée,
11 Quar la mort, qui les bons eſmonde,
12 Par qui largueſce eſt eſmondée,
13 A or pris l’un des bons du monde.
14 Las ! com ci a male eſtondée !
15 De France a oſté une eſponde[4] :
16 De cele part eſt afondée.
   
17 Avoec les ſainz ſoit miſe en ſele
18 L’âme de mon ſeignor Ansel
19 Car Diex, qui ſes amis enſèle,
20 L’a trové & fin & féel ;
21 Mès la mort, qui les bons flaèle,
22 A aporté félon flael ;
23 A l’Isle fors lettres ſaèle :
24 Oſté en a le fort féel.
   
25 Je di fortune eſt non voianz,
26 Je di fortune ne voit goute,
27 Ou en ſon ſeus eſt deſvoianz ;
28 Les uns atret, les autres boute.
29 Li povres hom, li meſchéanz
30 Monte ſi haut chaſcuns le doute ;
31 Li vaillanz hom devient noianz :
32 Iſſi va ſa manière toute.
   
33 Toſt eſt uns hom en ſon[5] la roe ;
34 Chafcuns le ſert, chaſcuns l’oneure,
35 Chaſcuns l’aime, chafcuns l’aroe[6] ;
36 Mès ele torne en petit d’eure,
37 Que li ſerviz chiet en la boe
38 Et li ſervant li corent ſeure ;
39 Nus ne tent[7] au lever la poe :
40 En cort terme a non Chantepleure[8].
   
41 Toz fors déuſt un preudon vivre,
42 Se mort éuſt ſans ne ſavoir ;
43 S’il fuſt mors, ſi déuſt revivre,
44 Ice doit bien chaſcuns ſavoir.
45 Mès mort eſt plus fière que guivre[9],
46 Et ſi plaine de non-ſavoir,
47 Que des bons le ſiècle délivre
48 Et aus mauvès leſt vie avoir.
   
49 Qui remire[10] la bele chace
50 Que fère ſoliiez jadis,
51 Lès voz braches[11] entrer en trace
52 Çà .v. çà .vij. çà .ix. çà .x.
53 (N’eſt nul qui li cuers mal n’en ſace),
54 Ne por âme nul bien jadis :
55 Dieu pri que vous otroit ſa grâce,
56 Et doinſt à l’âme paradis.
                                 Amen.
   
  Explicit de Monseignor Anseau de l’Isle.
 

[1] Ancel IV, fils d’Ancel III, seigneur de l’Isle-Adam, illustre maison d’où sortit plus tard le fameux grand-maître de Rhodes, et de Clémence de Pompone, sa seconde femme. Il mourut le 30 août 1285, en Aragon, où il avait accompagné Philippe-le-Hardi.

M. Paris propose une autre version ; la voici : « Nous croyons, dit-il, que Rutebeuf rappelle ici la mort d’Ansel III. On n’en sait pas la date précise, mais si le poëte avait voulu déplorer la destinée du fils, il aurait parlé de la guerre de Catalogne et de la valeur de celui qu’on avait vu tomber sous les coups des Espagnols. Loin de cela, il ne s’agit, dans la Complainte, que de chasses et de vertus domestiques, etc. »

N’en déplaise à mon savant ami, ce sont là des inductions plutôt que des preuves positives. Toutefois, il y aurait avantage pour cette pièce à être reportée à Ansel III : elle deviendrait, dans ce cas, la plus ancienne composition de Rutebeuf.

[2] Iriez, en colère ; de ira.

[3] Ms. 7633. Var. Que Vaumondois à geteir l’ordre. — Vaumondois est le nom d’une terre que possédaient les seigneurs de l’Isle-Adam. Ils s’intitulaient presque toujours Seigneurs de l’Isle-Adam, Maci et Valmondois.

[4] Eſponde, digue, défense.

[5] En ſon pour en dessous. — Cette strophe manque au Ms. 7615. — Voyez, comme rapprochement d’idées sur le même sujet, pages 177 et suivantes de mon recueil des Jongleurs et Trouvères, la petite pièce intitulée la Roe de fortune.

[6] Ms. 7633. VAR. l’aore.

[7] Ms. 7633. VAR. n’atent.

[8] Chantepleure, qui pleure après avoir chanté. En voici l’explication par l’auteur d’un poëme que j’ai publié :

                   Et de la pleure chante savez que fénéſie,

                   Qui pleure ſes péchiez & vers Dieu ſ’umélie.

                   L’âme a le guerredon quant la char eſt porrie.

                   Lors ne ſe puet tenir qu’ele ne chante & rie.

[9] Ms. 7633. Var. vuiyvre.

[10] Mss. 7633, 7615. Var. remembre.

[11] Les braches, brachets ou boichez, espèce de chiens d’arrêt nommés aujourd’hui braques ou bracs.

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