Panorama des principales éditions des œuvres de Rutebeuf. |
Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première | |
fois par Achille Jubinal, Nouvelle édition revue et corrigée, A. Jubinal, 1874 : Paris, Paul Daffis, vol. 1, pp. 202-207. | |
Des Ordres | |
ou | |
La Chanson des Ordres[1]. | |
Mss. 7218, 7615, 7633. | |
1 | Du ſiècle vueil chanter |
2 | Que je voi enchanter |
3 | Tel vens porra venter |
4 | Qu’il n’ira mie ainſi. |
5 | Papelart & Béguin |
6 | Ont le ſiècle honi. |
7 | Tant d’ordres avons jà |
8 | Ne ſai qui les ſonja, |
9 | Ainz Diex tels genz noma |
10 | N’il ne ſont ſi ami. |
11 | Papelart & Béguin |
12 | Ont le ſiècle honi. |
13 | Frère Prédicator |
14 | Sont de mult ſimple ator, |
15 | Et ſont en lor deſtor |
16 | Mainte bon pariſi[2]. |
17 | Papelart & Béguin |
18 | Ont le ſiècle honi. |
19 | Et li Frère Menu |
20 | Nous ont ſi près tenu |
21 | Que il ont retenu |
22 | De l’avoir autreſſi[3]. |
23 | Papelart & Béguin |
24 | Ont le ſiècle honi. |
25 | Qui ces .ij. n’obéiſt |
26 | Et qui ne lor géhiſt[4] |
27 | Quanqu’il oncques féiſt, |
28 | Tels bougres de naſqui. |
29 | Papelart & Béguin |
30 | Ont le ſiècle honi. |
31 | Aſſez dient de bien, |
32 | Ne ſai ſ’il en font rien ; |
33 | Qui lor done du ſien. |
34 | Tel preudomme ne vi. |
35 | Papelart & Béguin |
36 | Ont le ſiècle honi. |
37 | Cil de la Trinité |
38 | Ont grant fraternité ; |
39 | Bien ſe ſont aquité : |
40 | D’aſnes ont fet roncin[5]. |
41 | Papelart & Béguin |
42 | Ont le ſiècle boni. |
43 | Et li Frère Barré |
44 | Reſont cras & quarré, |
45 | Ne ſont pas enſerré : |
46 | Je les vi mercredi. |
47 | Papelart & Béguin |
48 | Ont le ſiècle honi. |
49 | Noſtres Frère Sachier |
50 | Ont luminon fet chier. |
51 | Chaſcuns ſamble vachier |
52 | Qui iſt de ſon meſni. |
53 | Papelart & Béguin |
54 | Ont le ſiècle honi. |
55 | Set vins filles ou plus |
56 | A li Roi en reclus ; |
57 | Oncques mès quens ne dus |
58 | Tant n’en congenui[6]. |
59 | Papelart & Béguin |
60 | Ont le ſiècle honi. |
61 | Béguines a-on mont[7] |
62 | Qui larges robes ont ; |
63 | Deſouz les robes font[8] |
64 | Ce que pas ne vous di. |
65 | Papelart & Béguin |
66 | Ont le fiècle honi. |
67 | L’ordre des non-voianz[9] |
68 | Tels ordre eſt bien noianz, |
69 | Il taſtent par léanz : |
70 | « Quant veniſtes-vous ci ? » |
71 | Papelart & Béguin. |
72 | Ont le ſiècle honi. |
73 | Li frère Guillemin[10] |
74 | Li autre frere Hermin |
75 | M’amor lor atermin : |
76 | Je’s amenai mardi. |
77 | Papelart & Béguin |
78 | Ont le ſiècle honi. |
Explicit les Ordres. |
[1] Cette pièce, qui est probablement du même temps que la précédente, a été imprimée par Méon, p. 299 de son édition de Barbazan. Legrand d’Aussy, dans une note qui se trouve à la fin de son extrait de La bataille des, vices et des vertus, p. 410, du t.V des Notices des manuscrits, en a cité trois strophes, savoir : la 5e, la 6e, et enfin la 11e, dont il dit qu’elle « lui paraît mériter d’être remarquée, et qu’elle peut faire honneur au talent du poëte. » Je crois qu’il eût été plus exact de dire à sa malice. M. Daunou la trouve spirituelle et satirique, et M. Paulin Paris dit que, par son mouvement et son caractère, elle rappelle assez bien des poésies légères moins anciennes.
[2] Les Frères-Prédicateurs ou Frères-Prêcheurs, sont les Jacobins ou Dominicains.
[3] Les Frères-Menus ou Mineurs, étaient les Cordeliers, qui s’appelaient ainsi par humilité. (Voyez le Dit qui porte leur nom.)
[4] Cette strophe est une allusion à l’esprit envahisseur qu’on reprochait aux Cordeliers et aux Jacobins, lesquels voulaient dire la messe et entendre la confession dans les paroisses au préjudice et sans la permission des curés, ce qui excita de grandes querelles. (Voyez la note relative aux Jacobins dans la pièce intitulée : Les Ordres de Paris.)
[5] Voyez, pour les Frères de la Trinité, les Frères-Barrés, les Frères-Sacs, la pièce intitulée : Les Ordres de Paris ; il y a en note quelques détails sur ces religieux.
[6] Mss. 7615, 7633. Var. engenuy (engendra). —Les Filles-Dieu, dont parle ici Rutebeuf, étaient en effet plus de sept-vingt, puisqu’en 1265 saint Louis, qui venait de leur permettre de tirer de l’eau de la fontaine de Saint-Lazare et de la conduire dans leur monastère par une chaussée, leur fit une libéralité bien plus considérable en ordonnant qu’elles seraient au nombre de dent cents, et en leur assignant sur son trésor une rente de 400 livres. C’est ce qui l’a fait regarder à tort comme lé fondateur de leur monastère. (Voyez la pièce intitulée : Le Dit des Règles.)
[7] Ms. 7218. Var. a on moult.
[8] Ms. 7615. Var. ont.
[9] La congrégation des Aveugles ou Quinze-Vingts, dans laquelle on appelait Frères-Voyants ceux qui voyaient clair et étaient mariés à des femmes aveugles, et Sœurs-Voyantes les femmes qui voyaient clair et étaient mariées à des hommes aveugles. Cette strophe prouve que la Chanson des Ordres date au plus tôt de 1258, époque de la fondation des Quinze-Vingts par saint Louis.
[10] Les Frères-Guillemains, ou Guillemites, ainsi appelés d’un solitaire nommé Guillaume, près du tombeau duquel fut bâti leur premier monastère, s’établirent en 1250 à Montrouge dans le monastère des Machabées. On leur donna plus tard, dans l’intérieur de la ville, le couvent des Blancs-Manteaux, lorsque ceux-ci eurent été supprimés en exécution d’un article du concile de Lyon, qui détruisait tous les ordres mendiants, à l’exception des Jacobins, des Cordeliers, : des Carmes et des Augustins, sous le nom desquels les Frères-Guillemains étaient compris. Quant aux Hermins, ce sont les Hermites de Saint-Augustin, autre branche de l’ordre général des Augustins. Leur congrégation fut instituée par Alexandre IV.