Achille Jubinal, Des Jacobins
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première
  fois par Achille Jubinal, Nouvelle édition revue et corrigée, A. Jubinal, 1874 : Paris, Paul Daffis, vol. 1, pp. 208-213.
   
  Des Jacobins,
  ou
  Le Dist des Jacobins[1].
  Mss. 7218, 7615, 7633.
   
1 Seignor, mult me merveil que ciſt ſiècles devient
2 Et de ceſte merveille trop ſouvent me ſouvient,
3 Si qu’en moi merveillant, à force me convient
4 Faire .i. dit merveilleus qui de merveille vient.
   
5 Orgueil & Convoitiſe, Avariſce & Envie
6 Ont bien leur enviaus ſeur cels qui ſont en vie
7 Bien voient envieus que lor eſt la renvie,
8 Car Charité ſ’en va & Largueſce dévie.
   
9 Humilitez n’eſt mès en ceſt ſiècle terreſtre,
10 Puiſqu’ele n’eſt en cels où ele déuſt eſtre.
11 Cil qui onques n’amèrent ſon eſtat ne ſon eſtre
12 Bien ſai que de légier la metront à ſéneſtre.
   
13 Se cil amaiſſent pais, pacience & acorde
14 Qui font ſemblant d’amer foi & miſéricorde,
15 Je ne recordaifſe hui ne deſcort ne deſcorde,
16 Mès je vueil recorder ce que chaſcuns recorde.
   
17 Quant Frère Jacobin vindrent premier el monde,
18 S’eſtoient par ſemblant & pur & net & monde.
19 Grant pièce ont or eſté ſi com l’eve parfonde,
20 Qui ſanz corre tornoie entor à la roonde.
   
21 Premier ne demandèrent c’un pou de repoſtaille,
22 Atout .i. pou d’eſtrain ou de chaume ou de paille.
23 Le non Dieu ſermonoient à la povre piétaille ;
24 Mès or n’ont mès que fère d’omme qui à pié aille[2] ;
   
25 Tant ont éu deniers & de clers & de lais,
26 Et d’exécucions, d’aumoſnes & de lais[3],
27 Que des baſſes meſons ont fet ſi granz palais
28 C’uns hom lance ſor fautre[4] i feroit .i. eſlais.
   
29 Ne vont pas après Dieu tel gent le droit ſentier,
30 Ainz Diex ne vout avoir tonel for ſon chantier,
31 Ne denier l’un for l’autre, ne blé, ne pain entier ;
32 Et cil ſont changéor qui vindrent avant ier[5].
   
33 Je ne di pas ce ſoient li Frère Preſchéor,
34 Ainçois ſont une gent qui ſont bon peſchéor,
35 Qui prenent tel poiſſon dont ils ſont mengéor :
36 L’en dit léchierres lèche, mès il ſont mordeor.
   
37 Por l’amor Jhéſu-Chriſt leſſièrent la chemiſe
38 Et priſtrent povreté, car l’ordre eſtoit promiſe ;
39 Mès il ont povreté gloſée en autre guiſe :
40 Humilité ſermonent qu’il ont en terre miſe.
   
41 Je croi bien des preudommes i ait à grand plenté,
42 Mès cil ne ſont oï fors tant qu’ils ont chanté ;
43 Car tant i a orgueil des orguillex enté
44 Que li preudomme en ſont ſorpris & enchanté.
   
45 Honiz foit qui croira jamès por nule choſe
46 Que deſouz ſimple abit n’ait mauveſtié encloſe ;
47 Quar tels veſt rude robe où félons cuers repoſe :
48 Li rosiers eſt poingnanz & ſ’eſt ſouef la roſe.
   
49 Il n’a en tout ceſt mont ne bougre, ne hérite,
50 Ne ſort popelican, vaudois ne ſodomite
51 Se il veſtoit l’abit où papelars ſ’abite,
52 C’on ne le teniſt jà à ſaint ou à hermite.
   
53 Hé, Diex ! com vendront or tart à la repentance,
54 S’entre cuer & habit a point de deſſevrance !
55 Fère leur conviendra trop dure pénitance :
56 Trop par aime le ſiècle qui par ce ſ’i avance.
   
57 Divinitez[6] qui eſt ſcience eſpéritable,
58 Ont-il torné le dos & ſ’en font conneſtable ;
59 Chaſcuns cuide eſtre apoſtre quant il ſont à la table ;
60 Mès diex pot[7] ſes apoſtres de vie plus metable.
   
61 Cil Diex qui par ſa mort volt la mort d’enfer mordre
62 Me vueille ſ’il li pleſt, à ſon amors amordre ;
63 Bien ſai qu’eſt grant corone, mès je ne ſai qu’eſt ordre,
64 Car il font trop de choſes qui mult font à remordre.
   
  Explicit des Jacobins.
 

[1] Voyez, pour les détails sur les Jacobins, la pièce intitulée : De la Discorde de l’Université et des Jacobins.

[2] On lit dans le poëme de Renard-le-Nouvel (édit. Méon, page 432) :

                   A un conſeil li Jacobin

                   Ce ſunt trait, ſi ont mult parlé

                   De la très grande povreté

                   C’ont en l’ordre ſaint Dominike.

                   Boin ſeroit qu’il fuiſſent plus riche ;

                   Caſcuns l’ordre mie priſeroit

                   Et trop plus mouteplieroit

                   De grans clers & de vaillans homes.

                   « Une puignie de gent ſomes,

                   Si avons moult petit conseil. »

                   Et diſt li uns : Je me merveil

                   Que vous debatés ci vos tieſtes

                   Enſement que ſe fuſſiés beſtes :

                   C’alés-vous toute jor parlant ?

                   Vous n’aurez jà un pain vaillant

                   En ceſt ſiècle ſans Renardie

                   Car li gent ſon plain de boiſdie,

                   De mal art & de traïſon . . . . . »

                   Je lo que de ci en alons

                   Juſqu’à Renart & tant faiſons

                   K’il prenge l’abit de noſtre ordre . . . . .

                   Et Renart, ki moult fut ſenés,

                   Dift c’aillours a trop à entendre ;

                   Mais ſon fil, ſ’il le voelent prendre,

                   Renardiel, & des dras veſtir,

                   Il lor liverra tout entir

                   De le ſcience dont il eſt.

                   Caſcuns diſt : « Sire, bien nos plaiſt »

                   Il lor livra, lors le vieſtirent

                   De lor ordre, & ſignor en firent,

                   Et grant maiſtre & provincial,

                   Par quoi il ont laiſſié le val

                   De Povreté par tel aſquel,

                   Et ſunt monté en Haut-Orguel.

[3] A la note X de ma première édition de Rutebeuf, à la fin du t. 1er, j’ai longuement confirmé ces paroles de notre poëte par des citations authentiques.

[4] Fautre : ce n’est point seulement, comme le dit M. de Roquefort, une garniture de selle qui servait à appuyer la lance ; le fautre ou faucre (fulcrum) était aussi une pièce d’acier qui se plaçait sur le côté droit de la cuirasse en saillie. Elle avait ordinairement trois pouces ou à peu près de longueur, et servait à supporter la lance. Souvent le faucre était muni d’une charnière, de façon à pouvoir se relever à volonté. Son usage ne remonte pas par conséquent au-delà du milieu du XIVe siècle, puisqu’il ne peut être antérieur à celui de la cuirasse ; mais, comme on trouve le mot fautre employé dans nos vieux romans du XIIe et du XIIIe siècle, il faut bien en conclure qu’il y eut une seconde espèce de fautre, qui fut probablement la poche ou garniture qui retenait la lance sur la selle. L’usage du faucre de cuirasse s’est prolongé jusqu’à la fin du XVIe siècle. En anglais il se nomme lance rest, arrêt de la lance. On peut voir un exemple frappant de la forme de cette pièce dans l’armure de Boabdil, reproduite dans mon ouvrage intitulé l’Armeria real de Madrid, Paris, 1837.

[5] C’est-à-dire qu’ils sont très-riches, car les changeurs l’étaient presque tous alors ; c’étaient les banquiers de l’époque.

Dès les premiers temps de la monarchie, d’après Grégoire de Tours, nos vieux rois se plaignaient de cet abus. Quand on présentait à Chilpéric un testament en faveur d’un ordre ou d’un établissement religieux, il le cassait en disant : « Ecce pauper remansit fiscus noster ; ecce divitiæ nostræ ad ecclesias sunt translatæ..... periit honos noster et translatus est ad episcopos civitatum. »

[6] Divinitez : on appelait ainsi la théologie, parce que c’était une science céleste :

                   Gironne, Bède &Yſidoire

                   Diſtrent à la Divinité

                   Qu’elle eſchivaſt leur vanité.

                               (La bataille des VII. arts, Ms. 7218, f° 135.)

C’est peut-être dans ce sens qu’il faut entendre ce mot à la strophe troisième de la pièce intitulée : De la Discorde de l’Université et des Jacobins.

On l’appelait aussi quelquefois la haute science, et les docteurs en théologie prenaient le titre de maîtres en divinité. – Le Ms. 7615 offre pour variante : « Humilitez qui est, etc. »

[7] Il faudrait probablement vot.

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