Michel Zink, La griesche d’hiver
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, texte établi, traduit, annoté et présenté avec variantes par Michel Zink,
  M. Zink, 1990 : Paris, Garnier, vol. 1, pp. 184-188.
   
  CI ENCOUMENCE LI DIZ DE LA GRIESCHE D’YVER
   
1 Contre le tenz qu’aubres deffuelle,
2 Qu’il ne remaint en branche fuelle
3 Qui n’aut a terre,
4 Por povretei qui moi aterre,
5 Qui de toute part me muet guerre,
6 Contre l’yver,
7 Dont mout me sont changié li ver[1], f. 52 v° 1
8 Mon dit commence trop diver[2]
9 De povre estoire.
10 Povre sens et povre memoire
11 M’a Diex donei, li rois de gloire,
12 Et povre rente,
13 Et froit au cul quant byze vente :
14 Li vens me vient, li vens m’esvente
15 Et trop souvent
16 Plusors foïes sent le vent.
17 Bien le m’ot griesche en couvent
18 Quanque me livre :
19 Bien me paie, bien me delivre,
20 Contre le sout me rent la livre
21 De grand poverte.
22 Povreteiz est sus moi reverte :
23 Toz jors m’en est la porte overte,
24 Toz jors i sui
25 Ne nule fois ne m’en eschui.
26 Par pluie muel, par chaut essui[3] :
27 Ci at riche home !
28 Je ne dor que le premier soume.
29 De mon avoir ne sai la soume,
30 Qu’il n’i at point.
31 Diex me fait le tens si a point,
32 Noire mouche en estei me point,
33 En yver blanche[4].
34 Ausi sui con l’ozière franche
35 Ou com li oiziaux seur la branche :
36 En estei chante,
37 En yver pleure et me gaimente,
38 Et me despoille ausi com l’ante
39 Au premier giel.
40 En moi n’at ne venin ne fiel :
41 Il ne me remaint rien souz ciel,
42 Tout va sa voie.
43 Li enviauz[5] que je savoie
44 M’ont avoié quanque j’avoie f. 52 v° 2
45 Et fors voiié,
46 Et fors de voie desvoiié.
47 Foux enviaus ai envoiié,
48 Or m’en souvient.
49 Or voi ge bien tot va, tot vient,
50 Tout venir, tout aleir convient,
51 Fors que bienfait[6].
52 Li dei que li decier on fait
53 M’ont de ma robe tot desfait,
54 Li dei m’ocient,
55 Li dei m’agaitent et espient,
56 Li dei m’assaillent et desfient,
57 Ce poize moi.
58 Je n’en puis mais se je m’esmai :
59 Ne voi venir avril ne mai,
60 Veiz ci la glace.
61 Or sui entreiz en male trace.
62 Li traÿteur de pute estrace
63 M’ont mis sens robe.
64 Li siecles est si plains de lobe !
65 Qui auques a si fait le gobe ;
66 Et ge que fais,
67 Qui de povretei sent le fais ?
68 Griesche ne me lait en pais,
69 Mout me desroie,
70 Mout m’assaut et mout me guerroie ;
71 Jamais de cest mal ne garroie
72 Par teil marchié.
73 Trop ai en mauvais leu marchié.
74 Li dei m’ont pris et empeschié :
75 Je les claim quite !
76 Foux est qu’a lor consoil abite :
77 De sa dete pas ne s’aquite,
78 Ansois s’encombre ;
79 De jor en jor acroit le nombre. f. 53 r° 1
80 En estei ne quiert il pas l’ombre
81 Ne froide chambre,
83 Que nu li sunt souvent li membre,
84 Mais lou sien pleure.
85 Griesche li at corru seure,
86 Desnuei l’at en petit d’eure,
87 Et nuns ne l’ainme.
88 Cil qui devant cousin le claime
89 Li dist en riant : « Ci faut traime[7]
90 Par lecherie.
91 Foi que tu doiz sainte Marie,
92 Car vai or en la draperie
93 Dou drap acroire,
94 Se li drapiers ne t’en wet croire,
95 Si t’en revai droit à la foire
96 Et vai au Change.
97 Se tu jures saint Michiel l’ange
98 Qu’il n’at sor toi ne lin ne lange
99 Ou ait argent[8],
100 Hon te verrat moult biau sergent,
101 Bien t’aparsoveront la gent :
102 Creüz seras.
103 Quant d’ilecques te partiras,
104 Argent ou faille[9] enporteras. »
105 Or ai ma paie.
106 Ensi chascuns vers moi s’espaie,
107 Si n’en puis mais.
   
  Explicit.
   
   
Manuscrits : A, f. 304 v° ; B f. 61 r° ; C, f. 52 r°. Texte de C.
 
Titre : A La griesche d’esté, B La griesche d’yver - 1. B C. l’yver qu’a. despuielle - 2. B Qui ; A en branche f., BC en aubre f. - 3. B Ne voit - 29. B De mon cuer ne sai pas la s. - 34. B o. blanche. - 38. A desfuel - 43. B que j’envioie - 50. B Tot va tot vient tot avenir c. - 65. AB le gobe, C la g. - 70. B me desroie - 74. AB emparchié - 90. B tricherie - 100-101. B intervertis - 105. AB Or a sa paie - 106. A Ainsi vers moi chascuns s’apaie, B Ici c. v. m. s’apaie - 107. A Je n’en puis mes - A Explicit la griesche d’esté, B Explicit la griesche d’yver.
 

[1] L’expression mout me sont changié li ver est usuelle et signifie simplement : « ma situation a bien changé » (cf. Complainte 81). L’abondance et la complexité des jeux de mots dans ces premiers vers, ainsi que la mention au vers suivant du poème qui commence et dont ce changement est l’origine, laissent soupçonner que, par un jeu sur ver et vers, l’expression, ici, signifie aussi : « j’ai changé ma façon de composer des vers ». D’où la traduction.

[2] Divers signifie à la fois « changeant » (le dit est le fruit du changement de saison) et « mauvais » ou « cruel ». De plus – le titre et la rime des v. 6-8 le soulignent – ce poème est un dit « d’hiver ».

[3] Cf. Sainte Elysabel 1181.

[4] Cf. Ribauds de Grève 11-12. La mouche blanche est bien entendu le flocon de neige.

[5] Envial désigne le défi qu’on lance au jeu et l’enjeu que l’on fixe.

[6] Cf. le proverbe : Tout passera fors que biens faix (Morawski 2407).

[7] Cf. Plaies du monde 3-5 et Mariage 9.

[8] On portait son argent dans un pan noué de sa chemise ou de son manteau.

[9] Faille, qui signifie « échec », est aussi le nom d’un vêtement.

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