Michel Zink, Le dit de Pouille
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, texte établi, traduit, annoté et présenté avec variantes par Michel Zink,
  M. Zink, 1990 : Paris, Garnier, vol. 2, pp. 306-310.
   
  CI ENCOUMENCE LI DIZ DE PUILLE
   
  I
1 Cil Damediex qui fist air, feu et terre et meir,
2 Et qui por notre mort senti le mors ameir,
3 Il doint saint paradix, qui tant fait a ameir,
4 A touz ceulz qui orront mon dit sans diffameir !
  II
5 De Puille est la matyre que je wel coumancier
6 Et dou roi de Cezile, que Dieux puisse avancier !
7 Qui vodrat elz sainz cielz semance semancier
8 Voisse aidier au bon roi qui tant fait a prisier. f. 58 v° 2
  III
9 Li boens rois estoit cuens d’Anjou et de Provance,
10 Et c’estoit filz de roi, freres au roi de France.
11 Bien pert qu’il ne vuet pas faire Dieu de sa pance[1]
12 Quant por l’arme sauveir met le cors en balance.
  IV
13 Or preneiz a ce garde, li groz et li menu,
14 Que, puis que nos sons nei et au siecle venu,
15 S’avons nos pou a vivre, s’ai je bien retenu.
16 Bien avons mains a vivre quant nos sommes chenu[2].
  V
17 Conquerons paradix quant le poons conquerre ;
18 N’atendons mie tant meslee soit la serre.
19 L’arme at tantost son droit que li cors est en terre ;
20 Quant sentance est donee, noians est de plus querre.
  VI
21 Dieux done paradix a touz ces bienvoillans :
22 Qui aidier ne li wet bien doit estre dolans.
23 Trop at contre le roi d’Yaumons et d’Agoulans ;
24 Il at non li rois Charles, or li faut des Rollans[3].
  VII
25 Saint Andreuz[4] savoit bien que paradix valoit f. 59 r° 1
26 Quant por crucefier a son martyre aloit.
27 N’atendons mie tant que la mors nos aloit,
28 Car bien serions mort se teiz dons nos failloit.
  VIII
29 Cilz siecles n’est pas siecles, ainz est chans de bataille,
30 Et nos nos combatons a vins et a vitaille ;
31 Ausi prenons le tens com par ci le me taille[5],
32 S’acreons seur noz armes et metons a la taille[6].
  IX
33 Quant vanra au paier, coument paiera l’arme,
34 Quant li cors selon Dieu ne moissone ne same ?
35 Se garans ne li est Dieux et la douce Dame,
36 Gezir l’escovanra en parmenable flame.
  X
37 Picheour vont a Roume querre confession
38 Et laissent tout encemble avoir et mansion,
39 Si n’ont fors penitance. Ci at confusion :
40 Voisent un pou avant, s’avront remission.
  XI
41 Bien est foulz et mauvais qui teil voie n’emprent
42 Por eschueir le feu qui tout adés emprant ;
43 Povie est sa conciance quant de [rien] nou reprent ; f. 59 r° 2
44 Pou prise paradix quant a ce ne se prent.
  XII
45 Gentilz cuens de Poitiers, Dieux et sa douce Meire
46 Vous doint saint paradyx et la grant joie cleire !
47 Bien li aveiz montrei loiaul amour de frere ;
48 Ne vos a pas tenu Couvoitize l’aveire.
  XIII
49 Bien li meteiz le votre, bien l’i aveiz ja mis ;
50 Bien moustreiz au besoing que vos iestes amis.
51 Se chacuns endroit soi c’en fust si entremis,
52 Ancor oan eüst Charles mains d’anemis.
  XIV
53 Prions por le roi Charle : c’est por nos maintenir[7] ;
54 Por Dieu et sainte Eglize c’est mis au couvenir.
55 Or prions Jhesucrit que il puist avenir
56 A ce qu’il a empris et son ost maintenir.
  XV
57 Prelat, ne grouciez mie dou dizeime paier,
58 Mais priez Jhesucrit qu’il pance d’apaier ;
59 Car se ce n’a mestier, sachiez sanz delaier
60 Hom panrra a meïmes, si porroiz abaier[8].
   
  Explicit.
   
   
Manuscrit : C, f. 58 v°.
 
36. les couvanra - 43. rien mq. - 52. moult d’anemis.
 

[1] Paul, Philipp. 3, 19. Cf. Voie d’Humilité (Paradis) 730, Complainte d’Outremer 111, Nouvelle Complainte d’Outremer 282.

[2] Cf. Voie de Tunes 97-98.

[3] Le roi de Sicile porte le même nom que Charlemagne ; d’où les références à la matière épique. Le roi sarrasin Agolant et son fils Aumont sont des adversaires de Charlemagne dans la Chanson d’Aspremont.

[4] F.-B. (I, 437-8) suppose que saint André est mentionné ici parce qu’il était un des patrons des croisés. Selon l’Histoire anonyme de la première croisade, il est apparu à Pierre Barthélémy, lui a permis de découvrir la sainte Lance et lui a annoncé la victoire des chrétiens (la prise d’Antioche).

[5] Cf. Disputaison du Croisé et du Décroisé 217. Le sens figuré de l’expression com par ci le me taille (sans mettre la main à la pâte, sans se donner de mal, sans se fatiguer) est assuré par un passage célèbre d’un sermon de Nicolas de Biard : « Magistri caementariorum, virgam et cyrothecas in manu habentes, dicunt aliis Par ci le me taille, et nihil laborant et tamen majorem mercedem accipiunt » : « Les architectes (ou les contremaîtres, mot-à-mot les maîtres des maçons), tenant à la main une règle et les plans de l’édifice, disent aux autres Taille-moi cette pierre à cet endroit ; ils ne font rien et cependant ils touchent un salaire plus élevé ». Cf. F.-B. I, 438, et : Paul Meyer, dans Romania 6, 1877, p. 498 ; Gaston Paris, dans Romania 18, 1889, p. 288 ; Erwin Panofsky, Architecture gothique et pensée scolastique, Paris, 1974, p. 86.

[6] L’expression mettre a la taille signifie faire une encoche sur un bâton pour rappeler une dette.

[7] Le sens n’est pas clair, et la leçon maintenir est suspecte à cause de la rime du même au même avec le v. 56.

[8] Le 3 mars 1264 le pape Urbain IV avait ordonné que pendant trois ans les dîmes dans le royaume de France fussent prélevées au profit de Charles d’Anjou. Cette mesure provoqua de la part du clergé de vives résistances, qui s’accrurent lorsque Clément IV succéda à Urbain.

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