Michel Zink, Le dit d’Aristote
word Télécharger le texte en version Word (avec notes)
pdf Télécharger le texte en version PDF (avec notes)
excel Télécharger le texte en version Excel (sans notes)
pdf Télécharger la fiche des manuscrits (PDF)
lien Consulter les manuscrits
lien Consulter l'édition panoptique de ce texte
Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, texte établi, traduit, annoté et présenté avec variantes par Michel Zink,
  M. Zink, 1990 : Paris, Garnier, vol. 2, pp. 406-410.
   
  C’EST LE DIT D’ARISTOTLE
   
1 Aristotles a Alixandre
2 Enseigne et si li fait entendre
3 En son livre versefié,
4 Enz el premier quaier lié[1],
5 Conment il doit el siecle vivre.
6 Et Rutebués l’a trait dou livre.
7        « De tes barons croi le consoil,
8 Ce te loz je bien et consoil.
9 Ja serf de deus langues n’ameir,
10 Qu’il porte le miel et l’ameir. f. 3 r° 2
11 N’essaucier home que ne doies,
12 Et par cest example le voies
13 C’uns ruissiaux acreüz de pluie
14 Sort plus de roit et torne en fuie
15 Que ne fait l’iaue qui decourt :
16 Ausi fel essauciez en court
17 Est plus crueuz et plus vilains
18 Que n’est ne cuens ne chatelains
19 Qui sont riche d’ancesserie.
20 Si te prie por sainte Marie,
21 Se tu voiz home qui le vaille,
22 Garde qu’a ton bienfait ne faille.
23 N’i prent ja garde a parentei,
24 C’om voit de teux a grant plantei
25 Qui sont de bone gent estrait
26 Dont on asseiz de mal retrait.
27        Jadiz ot en Egypte un roi
28 Sage, large, de grant arroi,
29 Liez et joians, haitiez et baux,
30 Et ces fils fu povres ribaux ;
31 Et conquist asseiz anemis[2].
32 Puis que Nature en l’ome a mis
33 Sens et valour et cortoisie,
34 Il est quites de vilonie.
35 Tex est li hons com il se fait.
36 Uns homs son lignage refait,
37 Et uns autres lou sien depiece.
38 Ja ne porroie croire a piece
39 Que cil ne fust droiz gentiz hom
40 Qui fausetei et traïson
41 Heit et eschue, et honeur ainme,
42 Ou je ne sai pas qui s’en clainme
43 Jentil ne vilain autrement.
44 Or n’i a plus, je te demant
45 En don que tu ainmes preudoume,
46 Car de tout bien est ce la some. f. 3 v° 1
47        Hon puet bien regneir une piece
48 Par faucetei avant c’om chiece,
49 Et plus qui plus seit de barat.
50 Mais il covient qu’il se barat
51 Li meïsmes, que qu’il i mete,
52 Ne jamais nuns ne s’entremete
53 De bareteir, que il ne sache
54 Que baraz li rendra la vache[3].
55 Se tu iez de querele juges,
56 Garde que tu si a droit juges
57 Que tu n’en faces a reprandre.
58 Juge le droit sans l’autrui prandre[4] :
59 Juges qui prent n’est pas jugerres,
60 Ainz est jugiez a estre lerres.
61        Et se il te covient doneir,
62 Je ne t’i vuel plus sarmoneir :
63 Au doneir done en teil meniere
64 Que miex vaille la bele chiere
65 Que feras, au doneir le don[5],
66 Que li dons, car ce fait preudom.
67        Qui at les bones mours el cuer,
68 Les euvres moustrent par defuer.
69 Seule noblesce franche et sage
70 Emplit de tout bien le corage
71 Dou preudoume loiaul et fin.
72 Ses biens le moinne a boenne fin.
73 Au mauvais pert sa mauvistiez :
74 Tout adés fait le deshaitiez
75 Quant il voit preudoume venir.
76 Et ce si nos fait retenir
77 C’on doit connoistre boens et maus
78 Et desevrer les boens des faus.
79        Murs ne arme ne puet deffendre
80 Rois qu’a doneir ne vuet entendre.
81 Rois n’a mestier de forteresce
82 Qui a le cuer plain de largesse. f. 3 v° 2
83 Hauz hom ne puet avoir nul vice
84 Qui tant li griet conme avarice.
85 A Dieu te coumant qui te gart.
86 Prent bien a ces choses regart... »
   
  Explicit.
   
   
Manuscrits : C, f. 3 r° ; H, f. 92. Texte de C.
 
Titre : mq. dans H - 2. H E. son tens a despendre - 3. C versie - 4. C li lie - 5. H C. len doit - 6. H Et .I. clerc si la - 7. H De amis tiens c. - 10. H Qui p. - 13. H C’ mq. - 14. H Cuert plus - 15. H ne set lyaue quades cort - 19. H Qui est r. - 22. H a tout b. - 23. H Ne pren pas g. - 24. H Lan voit de cex a - 25. H Qui de bone gent sont e. - 28. C effroi ; H aroy - 29. H Preuz et - 36. H h. .I. lignage - 42. H qui je cl. - 46. H Que de ton bien ce est la s. - 47-54. rejetés plus loin dans H - 60. H ajoute : Quant il le prent sanz achoison Je di qu’il va contre raison, puis il donne à la suite les v. 47-54. (47 Lan - 51. m. qui qui i - 54. li vandroit sa v.), et ajoute enfin ces deux vers : Se sevent justes et pecheors Baras conchie le tricheor - 68. H mostre - 70. H Ramplist - 72. C biens li m ; H Son bien lamaine - 76. H Et ceci vous f. souvenir - 77. H on puet c. - 79. H Nus ne armes - 80. H Hons qui doner - 81. H Si na - 83-84. manquent dans H.
 

[1] Ce livre est l’Alexandréide de Gautier de Châtillon. Rutebeuf paraphrase les v. 85-104 et 150-161 du livre I.

[2] On ignore l’origine de cet exemple. Le v. 31 surprend. Le sujet de conquist semble ne pouvoir être que le roi d’Egypte, car, si c’était son fils, le sens serait en contradiction avec celui du vers précédent et avec la leçon de l’anecdote. La traduction de Jean Dufournet – « (le fils) se fit beaucoup d’ennemis » – ne paraît pas possible.

[3] Mot à mot : « tromperie lui rendra la vache ». Il y a sans doute là une allusion à un conte. On connaît le fabliau dans lequel trois voleurs, dont l’un se nomme Barat, se trompent l’un l’autre, mais l’enjeu est un jambon, non une vache. On pourrait penser plutôt à une version de l’exemplum 1300 de Tubach (la vache rendue à la veuve), mais il n’élucide pas vraiment non plus l’allusion.

[4] C’est-à-dire sans accepter d’épices.

[5] Cf. Complainte de Geoffroy de Sergines 79-82. L’idée est très fréquemment exprimée (voir par exemple Morawski, 1629).

...

Valid XHTML 1.0 Transitional