J. Bastin & E. Faral, Le dit d’Aristote
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, J. Bastin & E. Faral, 1959-1960 : Paris, Picard, vol. 1, pp. 561-564.
   
  C’est le dit d’Aristotle.
   
1        Aristotles a Alixandre
2 Enseigne et si li fait entendre
3 En son livre versefié[1],
4 Enz el premier quaier lié,
5 Conment il doit el siecle vivre.
6 Et Rutebués l’a trait dou livre.
7        « De tes barons croi le consoil,
8 Ce te loz je bien et consoil.
9 Ja serf de deus langues n’ameir,
10 Qu’il porte le miel et l’ameir.
11 N’essaucier home que ne doies,
12 Et par cest example le voies
13 C’uns ruissiaux acreüz de pluie
14 Sort plus de roit et torne en fuie
15 Que ne fait l’iaue qui decourt :
16 Ausi fel essauciez en court
17 Est plus crueuz et plus vilains
18 Que n’est ne cuens ne chatelains
19 Qui sont riche d’anceserie[2].
20 Si[3] te pri por sainte Marie[4],
21 Se tu voiz home qui le vaille,
22 Garde qu’a ton bienfait ne faille ;
23 N’i prent ja garde a parentei,
24 C’om voit de teux a grant plantei
25 Qui sont de bone gent estrait
26 Dont on asseiz de mal retrait.
27        « Jadiz ot en Egypte un roi[5]
28 Sage, large, de grant erroi,
29 Liez et joians, haitiez et baux,
30 Et ses fils fu povres ribaux
31 Et conquist asseiz anemis.
32 Puis que Nature en l’ome a mis
33 Sens et valour et cortoisie,
34 Il est quites de vilonie.
35 Tex est li hons com il se fait.
36 Uns homs son lignage refait,
37 Et uns autres lou sien depiece.
38 Je ne porroie croire a piece
39 Que cil ne fust droiz gentiz hom
40 Qui fausetei et traïson
41 Heit et eschue, et honeur ainme ;
42 Ou je ne sai pas qui s’en clainme
43 Jentil ne vilain autrement.
44 Or n’i a plus, je te demant
45 En don que tu ainmes preudoume,
46 Car de tout bien est ce la some.
47        « Hom puet bien regneir une piece
48 Par faucetei avant c’om chiece,
49 Et plus qui plus seit de barat ;
50 Mais il covient qu’il se barat
51 Li meïsmes, que qu’il i mete ;
52 Ne jamais nuns ne s’entremete
53 De bareteir, que il ne sache
54 Que baraz li rendra la vache[6].
55        « Se tu iez de querele juges[7],
56 Garde que tu si a droit[8] juges
57 Que tu n’en faces a reprandre.
58 Juge le droit sans l’autrui prandre[9] :
59 Juges qui prent n’est pas jugerres,
60 Ainz est jugiez a estre lerres [10].
61        « Et se il te covient doneir[11],
62 Je ne t’i vuel plus sarmoneir :
63 Au doneir done en teil meniere
64 Que miex vaille la bele chiere
65 Que feras, au doneir le don,
66 Que li dons : car ce fait preudom.
67        « Qui at les bones mours el cuer
68 Les euvres moustrent[12] par defuer.
69 Seule noblesce franche et sage
70 Emplit de tout bien le corage
71 Dou preudoume loiaul et fin ;
72 Ses biens le moinne a boenne fin.
73 Au mauvais pert sa mauvistiez :
74 Tout adés fait le deshaitiez
75 Quant il voit preudoume venir.
76 Et ce si nos fait retenir[13]
77 C’on doit[14] connoistre boens et maus
78 Et desevreir les boens des faus.
79 « Murs ne arme ne puet deffendre[15]
80 Roi qu’a doneir ne vuet entendre.
81 Rois n’a mestier de forteresce
82 Qui a le cuer plain de largesse.
83 Hauz hom ne puet avoir nul vice
84 Qui tant li griet conme avarice.
85 A Dieu te coumant qui te gart.
86 Prent bien a ces choses regart. »
   
  Explicit.
   
   
Manuscrits : C, fol. 3a ; H, fol. 92.
Texte et graphie de C.
Division en alinéas de C.
Titre manque dans H.
2 H E. son tens a despendre — 3 C versie — 5 H C. len d. — 6 H Et. I. clerc si la — 7 H De amis tiens c. — 8 H te lo ge — 10 H Qui p. — 13 H C’ mq. — 14 H Cuert pl. — C pl. deroit — 15 H ne set lyaue quades cort — 16 Ajouté en marge dans H (Ainsinc f.) — 17 H Et pl. crieus et — 19 H Qui est r. — 22 H a tout b. — 23 H Ne pren pas g.24 H Lan v. de cex a. — 25 H sont après gent — 26 H Dont lan as. — 28 C effroi ; H aroy — 29 H Preuz et — 30 C ces — 32 H l’ mq. — 36 H h. .I. l. — 42 H q. je cl. — 45 H Un d. — 46 H Que de ton b. ce est la — 47-54 rejetés plus loin dans H — 60 H ajoute : Quant il le prent sanz achoison Je di quil va contre raison. — Donne ensuite les vers 47-54 (47 Lan — 51 m. qui qui i — 54 li vandroit sa v.), puis ajoute : Se sevent justes et pecheors Baras conchie le tricheor — 61 H Et sil te — 62 H ne te v. — 66 H le don — 68 H mostre — 69 H Seul est n. — 70 H. Ramplist — 71 H De p. — 72 C b. li m. ; H Son bien lamaine — 76 H Et ceci vous f. souvenir — 77 H on puet c. — 79 H Nus ne armes — 80 H Hons qui doner — 81 H Si na — 83-84 manquent dans H.
 

[1] 3-4. Dans l’Alexandréide de Gautier de Châtillon , l. I, v. 81 ss. Voir Notice. Cf. Edmond Faral (Neophilologus, t. XXXI, 1947, pp. 100-103).

[2] 7-19. Cf. Alexandréide, I,

       85        Consultor procerum, servos contemne bilingues

Et nequam ; nec quos humiles Natura jacere

                   Praecipit exalta. Nam qui pluvialibus undis

                   Intumuit torrens fluit acrior amne perenni :

                   Sic, partis opibus et honoris culmine, servus

       90        In dominum surgens truculentior aspide surda

                   Obturat precibus aures, mansuescere nescit.

L’idée vient de Claudien, In Eutr., I, 181 (« Asperius nihil est humili cum surgit in altum ») : texte cité par plusieurs auteurs (Walter Map, De nugis surialium, cap. X, édit. James, p. 7, etc.). Sur le même thème, voir Robert de Blois, Enseignement des princes, v. 1137-1262.

[3] Le sens adversatif de Si est garanti par le tamen du latin (v. 92).

[4] 20-26 et 32-43. Cf. Alexandréide, I,

       92        Non tamen id prohibet rations calculus ut non

                   Exaltare velis, si quos insignit honestas,

                   Quos morum sublimat apex, licet ampla facultas

       95        Et patriae desit et gloria sanguinis alti.

                   Nam, si vera loquar, auferre pecunia mores,

                   Non afferre solet ; etenim inter cetera noctis

                   Monstriparae nihil est corruptius isto.

                   Quem vero morum, rerum non copia ditat,

       100       Quem virtus extollit, habet quod praeferat auro,

                   Qui patriae vitium redimat, quod conferat illi

                   Et genus et formam. Virtus non quaeritur extra :

                   Non eget externis qui moribus intus abundat.

                   Nobilitas sola est animum quae moribus ornat.

Le thème que la noblesse n’est pas affaire de naissance, venu de Salluste (Jugurtha, discours de Marius) et de Juvénal (satire VIII) a été repris d’après eux dans le Moralium dogma philosophorum, III, B (Édit J. Holmberg, pp. 54-55). Il a été largement orchestré par Jean de Meung, Rose, v. 18589-896 (voir la série des textes réunis à ce propos par E. Langlois, notes aux vers 18595-600, 18607 ss., 18609-12, 18615-16). Il apparaît en de nombreux proverbes (Werner, aux incipit nobilis et nobilitas). Une liste d’autres textes a été donnée pour les XIVe et XVe siècles par A. Långfors, Fauvel, note aux vers 1089 ss.

[5] 27-31. Nous ignorons l’objet de cette allusion, dont le sens n’est d’ailleurs pas clair, à cause du v. 31, laudatif de façon inattendue.

[6] Allusion probable à quelque conte.

[7] 55-60. Cf. Alexandréide, I,

       150       Si lis inciderit, te judice, dirige libram

                   Judicii, nec flectat amor, nec munera palpent,

                   Nec moveat stabilem personae acceptio mentem.

                   Muneris arguitur accepti censor iniquus ;

                   Munus enim a norme recti distorquet acumen

                   Judicis et tetra involvit caligine mentem.

                   Cum semel obtinuit vitiorum mater in aula

                   Pestis avaritiae, quae sola incarcerat omnes

                   Virtutum species, spreto moderamine juris,

                   Curritur in facinus nec leges curia curat.

[8] a droit, « selon la justice ».

[9] sans l’autrui prandre, « sans prendre le bien d’autrui », « sans te laisser corrompre ».

[10] « Considéré comme un larron ».

[11] 61-66. Sur ce thème, nombreuses maximes (Werner, F 71, N 86, 196 ; Morawski, n° 1629 ; etc.). Cf. T 79-82.

[12] moustrent dans C ; mostre dans H. Les deux leçons se défendent dans le contexte, le v. 67 étant selon l’une complément, selon l’autre sujet de moustrer. Noter toutefois que, dans un passage analogue de AT (v. 453-454), le verbe est au singulier, et nécessairement.

[13] souvenir, leçon du ms. H, est préférable pour le sens et pour la rime.

[14] La leçon de H (puet au lieu de doit) est meilleure. Le sens est, en effet, que, d’après ce qui précède (v. 67-75), on peut distinguer entre bons et mauvais.

[15] 79-80. Cf. Alexandréide, I,

       156       Non opus est vallo, quos dextera dapsilis ambit...

       159       Principibus dubiis subitumque timentibus hostem

                   Est dare pro muro et solidi muniminis instar.

                   Non murus, non arma ducem tutantur avarum.

Ce dernier vers est devenu proverbe (cf. Bibliothèque de l’École des Chartes t. XXXIV, 1873, p. 42).

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