J. Bastin & E. Faral, Un dist de Nostre Dame.
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, J. Bastin & E. Faral, 1959-1960 : Paris, Picard, vol. 2, pp. 236-239.
   
  Un dist de Nostre Dame. fol. 74 r°
   
1        De la tres glorieuse Dame
2 Qui est saluz de cors et d’ame
3 Dirai, que tere ne m’en puis ;
4 Més l’en porroit avant un puis
5 Espuisier c’on poïst retrere
6 Combien la Dame est debonaire.
7 Por ce si la devons requerre
8 Qu’avant qu’elle chaïst sor terre
9 Mist Diex en li humilité,
10 Pitié, dousor et charité,
11 Tant que ne sai ou je commance :
12 Besoignex sui par abondance.
13 L’abondance de sa loange[1]
14 Remue mon corage et change
15 Si qu’esprover ne me porroie,
16 Tant parlasse que je voudroie.
17 Tant a en li de bien a dire
18 Que trop est belle la matiere.
19 Se j’estoie bons escrivens,
20 Ainz seroie d’escrire vains
21 Que je vous eüsse conté
22 La terce part de sa bonté
23 Ne la quarte ne redeïsme :
24 Ce set chacuns par lui meïsme.
   
25        Qui orroit comment elle proie[2]
26 Celui qui de son cors fist proie
27 Por nous toz d’enfer despraer
28 C’onques ne vost le cors despraer[3],
29 Ainz fu por nos praez et pris,
30 Dou feu de charité espris !
31 Et tot ce li ramentoit elle
32 . . . . . . . . . . . . . . .
33 . . . . . . . . . . . . . . .
34 La douce Vierge debonaire :
35 « Biaus filz, tu suis fame et home[4],
36 Quant il orent mors en la pome,
37 Il furent mort par le pechié
38 Don Maufez est toz entachiez,
39 En enfer il dui descendirent
40 Et tuit cil qui d’enfer yssirent[5].
41 Biax chiers fis, il t’en prist pitiez
42 Et tant lor montras d’amistiez
43 Que pour aus decendis des ciaus.
44 Li dessandres fu bons et biax :
45 De ta fille feïs ta mere,
46 Tiex fu la volante dou Pere.
47 De la creche te fit on couche :
48 Sans orguel est qui la se couche.
49 Porter te covint en Egypte ;
50 La demorance i fu petite,
51 Car aprés toi ne vesqui gaires
52 Tes anemis, li deputaires
53 Herodes, qui fist decoler
54 Les inocens et afoler
55 Et desmenbrer par chacun menbre,
56 Si com l’Escriture remenbre.
57 Aprés ce revenis arriere ;
58 Juï te firent belle chiere,
59 Car tu lor montroies ou Temple
60 Maint bel mot et maint bel example. fol. 74 v°
61 Mont lor plot canques tu deïs
62 Juqu’a ce tens que tu feïs
63 Ladre venir de mort a vie.
64 Lors orent il sor toi envie,
65 Lors fus d’aus huiez et haïz,
66 Lors fus enginiez et traïz
67 Par les tiens et a aus bailliez,
68 Lors fus penez et travillez
69 Et lors fus lïez a l’estache :
70 N’est nus qui ne le croie et sache.
71 La fus batuz et deplaiez,
72 La fus de la mort esmaiez,
73 La te covint porter la croiz
74 Ou tu crias a haute voiz[6]
75 Au Juïs que tu soif avoies.
76 La soifsoi, s. f. : X 63, A 81, AK 129, AT 1432, 1726, AW 76, sois, : soif. estoit que tu savoies
77 Tes amis mors et a malaise
78 En la dolor d’enfer punaise.
79 L’ame dou cors fu en enfer[7]
80 Et brisa la porte d’enfer.
81 Tes amis tressis de leans,
82 Ainc ne remest clerc ne lai anz.
83 Li cors remest en la croiz mis ;
84 Joseph, qui tant fu tes amis,
85 A Pilate te demanda :
86 Li demanders mont l’amanda.
   
87        Lors fus ou sepucre posez
88 De ce fu hardiz et osez
89 Pilate qu’a toi garde mist,
90 Car de folie s’entremist.
91 Au tiers jor fus resucitez :
92 Lors fus et cors et deïtez
93 Ensanble sans corricion,
94 Lors montas a l’Ascension.
   
95        Au jor de Pentecouste droit,
96 Droit a celle hore et cel androit
97 Que li apostre erent assis
98 A la table, chacuns pencis,
99 Lors envoias tu a la table
100 La toe grace esperitable
101 Dou saint Esperit enflamee,
102 Que tant fu joïe et amee.
103 Lors fu chacuns d’aus si hardiz,
104 Et par paroles et par diz,
105 C’autant prisa mort comme vie :
106 N’orent fors de t’amor envie.
107 Biax chiers filz, por l’umain lignage
108 Jeter de honte et de domage
109 Feïs tote ceste bonté
110 Et plus assez que n’ai conté.
111 S’or laissoies si esgaré
112 Ce que si chier as comparé,
113 Ci avroit trop grant mesprisonmesprison, X 76, BG 21, BF 106, AW 113 : tort, faute.,
114 S’or les lessoies en prison
115 Entrer, don tu les as osté,
116 Car ci avroit trop mal hosté,
117 Trop grant duel et trop grant martire,
118 Biau filz, biau pere, biau doz sire. »
   
119        Ainsi recorde tote jor
120 La doce Dame, sans sejor ;
121 Ja ne fine de recorder
122 Car bien nous voudroit racorder
123 A li, don nos nos descordonsdescorde (me), L 72, ind. pr. 1 ; L 69, AC 104 s’en d., ind. pr. 3 ; AW 123, nos nos descordons, ind. pr. 4 de descorder (soi) : se séparer, désavouer, être en désaccord.[8]
124 De sa corde et de ses cordons.
125 Or nous acordons a l’acorde
126 La Dame de misericorde
127 Et li prions que nos acort
128 Par sa pitié au dine acort
129 Son chier Fil, le dine Cor Dé :
130 Lors si serons bien racordé.
   
  Explicit de Notre Dame.
   
   
Manuscrit : B, fol. 74 r°.
Alinéas du ms.
Graphies normalisées : se v. 24 ; ci v. 103.
Ms. 10 Pitiez dousors et charitez — 13 loance — 16 T. p. je — 26 Celi — Entre 31 et 34, lacune de deux ou plusieurs vers — 34 La tres d. verge — 43 d. es c. — 47 coche — 87 fu — 96 et acel a. — 103 fus c. — 121 fina — 125 a. a sacorde — 126 misecorde avec un signe d’abréviation mal placé (après mi)
 

[1] loange. Ms. loance, sans signification phonétique, graphie fautive, attirée par les deux rimes précédentes.

[2] 25-30. Relative absolue.

[3] Vers faux. Lire onc, au lieu de onques, serait aisé, n’était qu’ailleurs, dans le même tour, Rutebeuf écrit toujours onques (cf. F 91 ; AD 35 ; AU 187, 649 ; etc.). — le cors despraer : le sens est évidemment « sauver sa propre personne ». Quant à despraer, il peut correctement être la répétition intentionnelle du despraer précédent (la différence de complément justifiant une rime du même au même). Cependant la répétition pourrait être le fait d’une inadvertance du scribe ; et desraer, réfléchi (ici le cors = soi), bien que fournissant une rime moins riche, donnerait du moins le sens très bon de « se dérober ».

[4] Le texte du manuscrit, ici reproduit, et dont la lettre est douteuse, ne paraît pas offrir de sens.

[5] Leçon corrompue.

[6] 74-78. Cf. X 62-65.

[7] 79-80. Allusion à la descente du Christ aux enfers, tradition étrangère aux évangiles.

[8] 123-124. Cf. A 17-18.

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