J. Bastin & E. Faral, La discorde de l’Université et des Jacobins.
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, J. Bastin & E. Faral, 1959-1960 : Paris, Picard, vol. 1, pp. 238-241.
   
  De la descorde de l’Université et des Jacobins.
   
  I
1 Rimer m’estuet d’une descorde
2 Qu’a Paris a semé Envie
3 Entre gent qui misericorde[1]
4 Sermonent et honeste vie.
5 De foi, de pais et de concorde
6 Est lor langue moult repleniereplenie, B 6 : remplie.,
7 Més lor maniere me recorderecorder, K 16, inf. ; K 16 recorde, ind. pr. 3 ; K 15 recordaisse, subj, impf. 1 : raconter — T 46 recorde, ind. pr. 1 ; L 67 recordé, p. p. : dire, rapporter — B 7, recorde ind. pr. 3 : rappeler — B 51, au recorder, inf. substantivé : au rappel, au rapport (terme juridique).
8 Que dire et fere n’i soit[2] mie.
  II
9 Sor Jacobins est la parole
10 Que je vous vueil conter et dire,
11 Quar chascuns[3] de Dieu nous parole
12 Et si desfent corouz et ire,
13 Que[4] c’est la riens qui l’ame afoleafole, B 13 ; F 15, ind. pr. 3 ; F 17 afolé, p. p. de afoler : blesser — U 104, L 54, afole, ind. pr. 3 de afoler : causer la perte de.,
14 Qui la destruit et qui l’empire :
15 Or guerroient por une escole[5]
16 Ou il vuelent a force lirelire, B 16, enseigner dans une faculté universitaire (vocabulaire scolastique) ; B 6, C 52, lisent, ind. pr. 6 ; J 87, AU 628, p. p. f. leüe..
  III
17 Quant Jacobin vindrent el monde[6] [7],
18 S’entrerent chiés Humilité ;
19 Lors estoient et net et monde
20 Et s’amoient divinitédivinité, s. f., K 57, B 20, J 86 : théologie ; J 185, mestre de divinité : maître en théologie.[8].
21 Més Orguex, qui toz biens esmondeesmonde, AF 11, B 21, ind. pr. 3 de esmonder : élaguer, faire disparaître ; AF 12, esmondee, p. p. : élaguée.,
22 I a tant mis iniquité
23 Que par lor grant chapechape, AE 42, B 23, F 146, R 59 : cape, manteau rond. Cf. Enlart, III, p. 341. roonde[9]
24 Ont verséversé, B 24, p. p. de verser ; v. trans. : renverser. l’Université.
  IV
25 Chascuns d’els deüst estre amis
26 L’Université voirement,
27 Quar l’Université a mis
28 En els tout le bon fondement :
29 Livres, deniers, pains et demisdemis, B 29, s. m. pl. : pain d’obole équivalant à la moitié de la denrée et au quart du doublel — demi, adj. m. s., U 57 : la moitié de ce qu’il était. ;
30 Més or lor[10] rendent malement,
31 Quar cels destruit li anemis[11]
32 Qui plus l’ont servi longuement.
  V
33 Miex lor[12] venist, si com moi membremembrer, AK 46, B 33, H 62, v. intrans. : se souvenir.,
34 Qu’alevez nes eüssent pas :
35 Chascuns a son pooir desmembre
36 La mesniemesnie, s. f., U 125, H 295, maignie, AK 110 mesnie : suite, train — B 36, la mesnie saint Nicholas : l’Université — AU 11, mesnie : maisonnée. Voir maignie. saint Nicholas ;
37 L’Université ne s’i membremembre, B 37, ne s’i membre : n’y gagne pas en force. (A l’appui de cette traduction, voir Enfances Garin de Monglanne, v. 469-471 (ms. Bibi. nat. fr. 1460, f° 9 r° 20).[13]
38 Qu’il ont mise du trottrot, s. m., B 38, mettre du trot au pas : réfréner l’ardeur. au pas[14],
39 Quar tel herberge on en la chambre[15]
40 Qui le seignor gete du cascas, B 40 : maison..
  VI
41 Jacobin sont venu el monde[16]
42 Vestu de robe blanche et noire ;
43 Toute bontez en els abonde,
44 Ce puet quiconques voudra croire[17].
45 Se par l’abit sont net et monde,
46 Vous savez bien, ce est la voirevoire, B 46, J 62, s. f. : vérité.,
47 S’uns leus avoit chape roonde
48 Si resambleroit il provoire.
  VII
49 Se lor oevre ne se concorde
50 A l’abit qu’amer Dieu devisedeviser, trans., O 292 : décrire ; D 48, ind. pr. 3 : décrit — D 37, devise, ind. pr. 3 : prescrit — R 47, devise, ind. pr. 1 ; X 32, devis, subj. pr. 1 : dire, exposer — B 50, devise, ind. pr. 3 : indiquer — AT 1464, devisoit, imparf. 3 : raconter ; AT 1466, au deviser, infin. subst. : au raconter (en racontant) — C 79, fut. 6, deviseront : arranger — AT 209, p. p., devisiee : divisée.[18],
51 Au recorderrecorder, K 16, inf. ; K 16 recorde, ind. pr. 3 ; K 15 recordaisse, subj, impf. 1 : raconter — T 46 recorde, ind. pr. 1 ; L 67 recordé, p. p. : dire, rapporter — B 7, recorde ind. pr. 3 : rappeler — B 51, au recorder, inf. substantivé : au rappel, au rapport (terme juridique). avra descorde
52 Devant Dieu au jor du Juïse ;
53 Quar se Renars çaint une corde[19]
54 Et vest une cotelecotele, B 54, L 16 : robe de moine, froc (ici, robe des Franciscains). grise,
55 N’en est pas sa vie mains orde :
56 Rose est bien sor espine assise[20].
  VIII
57 Il pueent bien estre preudomme[21],
58 Ce vueilvoloir : vouloir — B 58 vueil, ind. pr. 1 ; A 82, viaut, Z 39 vuet, ind. pr. 3 ; G 41, A 57, R 95, vost, parf. 3 ; K, 61, volt, E 177 vout, parf. 3 ; T 74 vousist, Z 94 vouxist, subj. imparf. 3. je bien que chascuns croie ;
59 Més ce qu’il pledoientpledoient, B 59, ind. pr. 6 de plaidoier : plaider. a Romme[22]
60 L’Université m’en desvoiedesvoie, B 60, ind. pr. 3 de desvoier (soi) : se détourner ; A 71 desvoiez, s. pl. : égarés ; AF 27, en son sens est desvoianz, p. prt : pert la raison..
61 Des Jacobins vous di la somme :
62 Por riens que Jacobins acroieacroire, AB 219, AG 93, inf. ; B 62, acroie, subj. 3 : emprunter sur gages, prendre à crédit (fig.). — Dans les exemples qui suivent, la métaphore repose sur l’idée que le pécheur est le débiteur de Dieu et qu’il lui laisse en gage son âme et son corps (sa peau) : AE 30, or poons sur noz piauz a. ; AT 249, acroient sor lor piaus, ind. pr. 6 ; AT 252, sor ses piaus n’acrut, parf. 3 ; W 32, acreons sur noz ames, ind. pr. 4 ; AV 238, acroist sor sa lasse d’ame, ind. pr. 3.[23],
63 La peleürepeleüre, B 63 : pelure. d’une pomme
64 De lor dete ne paieroie.
   
  Explicit la descorde de l’Université et des Jacobins.
   
   
Manuscrits : A, fol. 307 v° ; B, fol. 65 v° ; C, fol. 17 r°.
Texte et graphie de A.
Titre : B Des Jacobins, C Ci encommence la descorde des Jacobins et de l’Universitei — 1 B Rime — 3 C que — 7 C le meniere — 12 B Et si vous voil conter et dire — 13 A Et c’est ; B rien — 16 B eslire — 17 à 24 B mq. — 27 B universetez — 33 BC semble — 35 B des menbres — 39 B Que — 40 B jas, C chaz — 44 C Ce porra q. vuet c. — 46 B b. cest la — 52 B Avant — 56 C La rote est sus lapine — 58 B chacun — 59 B M. cil qui — 60 B universetez — 63 B parure — 64 B ne parroie — C explicit, B explicit des jacobins.
 

[1] Entre gens qui... Le reproche de discordance entre actes et paroles (v. 5-8) ne vise que les Jacobins, non l’Université : cf. v. 9, et aussi D 78 ss., E 17-22, K 13-16 et 40. Entendre par conséquent : « un esprit de discorde qu’Envie a semé parmi des gens (les Jacobins) qui... » Même singularité de l’expression dans Guillaume de Nancis, Chronique, à l’année 1256 (Historiens de la France, t. XX, p. 556 E) : « Discordia quae fuerat inter Fratres Praedicatores, Minores et alios religiosos Parisius studentes contra magistrum Guillelmum... ».

[2] soit, au singulier, parce que dire et fere forment un tout : « l’accord du dire et du faire ».

[3] chascuns, « chacun d’eux ».

[4] Que (B C), au lieu de Et (A), est exigé par la logique du passage et par l’analogie du tour avec celui de U 103-104.

[5] 15-16. Allusion à leurs efforts pour reprendre la chaire et l’école qui leur avaient été retirées en février 1252 (voir Notice). — a force : en forçant, par recours au Saint-Siège, la volonté de l’Université.

[6] 17-19. Cf. K 17-18.

[7] 17-32. Grief articulé par les maîtres parisiens au début de leur lettre du 4 février 1254 (Chart. Univ. Par., n° 230, pp. 252-253).

[8] amoient divinité, « étudiaient la théologie avec amour ». Cf. la lettre précitée, p. 253.

[9] chape roonde. Chape fermée, c’est-à-dire sans manches, portée par les prêtres (cf. v. 47 et rappel de cette règle au concile d’Arles en 1260, chap. 8) et aussi par les maîtres et gradués de l’Université (Chart. Univ. Par., n° 20, d’août 1215, et 202, du 16 février 1252). Il semble (cf. Guillaume de Saint-Amour, Opera, p. 501, dans un sermon de 1256) que les Jacobins enseignants l’avaient adoptée.

[10] lor, à ceux de l’Université.

[11] anemis. Cf. v. 39-40. Pas le diable, mais l’ingrat qu’on a le plus longuement obligé.

[12] lor, à ceux de l’Université, — si com moi membre, « autant qu’il m’en souvient ».

[13] s’i membre. Latin classique : membrari, « se former », en parlant du corps humain. Recueil général des lexiques français, p. p. Mario Roques, t. II, p. 253 : membre, « faire membres ». Ici : « n’y gagne pas en force ».

[14] Du fait, notamment, que le pape lui avait enjoint de les reprendre en sa société, d’où elle les avait retranchés après l’affaire de 1253 (Chart. Univ. Par., n° 222 et 225 des 1er juillet et 26 août 1253). Voir Introduction, p. 70.

[15] 39-40. Proverbe. Cf. Morawski, n° 2311 : « Tel aqueut l’en souz son chevron qui puis le giete de sa meson o. C’est un dérivé de l’Ecclésiastique, XI, 36 : « Admitte ad te alienigenam, et subvertet te in turbine et abalienabit te de tuis propriis », cité dans le De Periculis, p. 23. Au même propos, les maîtres de l’Université, dans leur lettre du 4 février, citent un proverbe voisin : « mus in pera, serpens in sinu, ignis in gremio male suos remunerat hospites ».

[16] 41-56. Thème que l’habit ne fait pas le moine. Cf. K 45-52. Aux vers 47-48, ressouvenir probable de Matthieu VII, 15 (attendite a falsis prophetis qui veniunt in vestimentis opium, intrinsecus autem sunt lupi rapaces), texte souvent exploité contre les Jacobins par leurs adversaires.

[17] croire dépend de puet.

[18] « l’habit qui indique qu’on aime Dieu ».

[19] 53-54. Coup de griffe, en passant, aux Cordeliers.

[20] Cf. K 48. Dans la Chantepleure, v. 166-169, la comparaison est à l’éloge de la rose (l’épine n’empêche pas la rose). Ici l’idée est que la rose n’empêche pas l’épine : même sens et au même propos que dans les Moralia, I, 32, de s. Grégoire (... et spinae pro ferunt flores, et apparet quidem eis quod oleat, sed latet quod pungat), texte souvent cité (ex. Liber de adventu Antechristi, peut-être de Guillaume de Saint-Amour dans Martene, Ampl. Coll., t. X, col. 1348).

[21] 57-58. Cf. K 41-42.

[22] 59-60. « Le fait qu’ils plaident à Rome contre l’Université m’empêche de le croire. » Allusion à la citation en cour de Rome pour le 15 août 1254. Voir Introduction, p. 72. Pour le tour Ce que..., « le fait que... », cf. AS 149.

[23] 62-64. « Quoi qu’un Jacobin puisse prendre à crédit, ce n’est pas moi (instruit par l’expérience) qui paierai de sa dette la pelure d’une pomme », c’est-à-dire « qui paierai pour eux ». Allusion possible au fait que l’Université, pour les frais du procès en cour de Rome, avait, au début de 1254, levé une contribution financière de ses membres, l’exigeant également des Jacobins de ses écoles, lesquels s’y refusaient, de sorte que les frais auraient été supportés par les autres. Voir Introduction.

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