Achille Jubinal, C'est de la povretei Rutebeuf
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première
  fois par Achille Jubinal, Nouvelle édition revue et corrigée, A. Jubinal, 1874 : Paris, Paul Daffis, vol. 1, pp. 1-4.
   
  C’est de la Povretei Rutebuef[1]
  Ms. 7633.
   
1 Je ne ſai par où je coumance
2 Tant ai de matyere abondance
3 Por parleir de ma povretei.
4 Por Dieu vos pri, frans Rois de France,
5 Que me doneiz queilque chevance[2]
6 Si fereiz trop grant charitei.
7 J’ai veſcu de l’autrui chatei[3]
8 Que hon m’a créu[4] & preſtei ;
9 Or me faut chacuns de créance,
10 C’om me ſeit povre & endetei :
11 Vos r’aveiz hors dou reigne eſtei
12 Où toute avoie m’atendance.
   
13 Entre chier tens & ma mainie[5]
14 Qui n’eſt malade ni fainie,
15 Ne m’ont laiſſié deniers ne gage.
16 Gent truis d’eſcondire[6] arainie[7]
17 Et de doneir mal enseignie[8] :
18 Dou ſien gardier eſt chacuns ſages
19 Mors nie r’a fait de granz damages,
20 Et vos, boens Rois, en .ij. voiages
21 M’aveiz boue gent eſloignié,
22 Et li lointainz pélerinages
23 De Tunes qui eſt leuz ſauvages,
24 Et la male gent renoié.
   
25 Granz Rois, c’il avient qu’à vos faille :
26 A touz ai-ge failli ſanz faille
27 Vivres me faut & eſt failliz.
28 N’uns ne me tent, n’uns ne me baille :
29 Je touz de froit, de fain baaille,
30 Dont je ſuis mors & maubailliz[9]
31 Je ſuis ſans coutes & fans liz ;
32 N’a ſi povre juſqu’à Senliz.
33 Sire, ſi ne ſai quel part aille :
34 Mes coſteiz connoit le pailliz,
35 Et liz de paille n’eſt pas liz
36 Et en mon lit n’a fors la paille.
37 Sire, je vos fais aſavoir[10]
38 Je n’ai de quoi do[11] pain avoir
39 A Paris ſui entre touz biens,
40 Et n’i a nul qui i ſoit miens.
41 Pou i voi & ſi i preig pou ;
42 Il m’i ſouvient plus de ſaint Pou[12]
43 Qu’il ne fait de nul autre apôtre.
   
44 Bien fai Pater, ne ſai qu’eſt notre,
45 Que li chiers tenz m’a tot oſtei,
46 Qu’il m’a ſi vuidié mon hoſtei
47 Que li Credo[13] m’eſt dévéeiz,
48 Et ie n’ai plus que vos véeiz.
   
  Explicit.
 

[1] L’ensemble de cette pièce, son quatrième et surtout son onzième vers indiquent que la composition en remonte au temps très-court qui s’écoula entre le commencement et la fin de la seconde croisade, et qu’elle fut écrite pendant que Louis IX était occupé à combattre les infidèles. Le saint roi dut donc la recevoir, si elle parvint jusqu’à lui, sur la plage de Tunis.

[2] Chevance : voyez, pour ce mot, une des notes de la fin de la Paiz de Rutebueſ.

[3] Chatei, bien, fortune, gain, profit : en bas latin catallum.

[4] Créu, donné à crédit.

[5] Mainie, meſnie, maison, famille ; de manſio.

[6] Eſcondire, refuser ; de eſcondire, excondicere.

[7] Arainie, accoutumée.

[8] Dans une pièce anonyme, qui se trouve au Ms. 248, supp. fr., de la Bibliothèque impériale, et qui est intitulée : C’eſt uns dis d’avariſce, on rencontre les vers suivants, qui corroborent singulièrement et presque dans les mêmes termes les paroles de Rutebeuf :

                   Chaſcuns a ſon donnet perdu :

                   Li méneſtrel ſont eſperdu ;

                   Car nus ne lor veut riens donner.

                   De don ont eſté ſoutenu :

                   Maintenant ſont ſouz pié tenu ;

                   Or voiſent aillors ſermonner.

C’était précisément le contraire de ce que faisait saint Louis, car, si l’on en croit la Branche aux royaux lignages,

                   Viez méneſtrier mendians. ...

                   Tant du ſien par an emportoient

                   Que nombre ne puis avenir.

On peut recourir aussi, pour ce sujet, à la pièce des Tabureors (joueurs de tambours), que j’ai insérée dans mon recueil intitulé : Jongleurs et Trouvères (Paris, Merklein, 1835). Je terminerai cette note par les vers suivants, dans lesquels Robert de Blois se plaint de l’avarice des grands :

                   Qui porroit ce de prince croire,

                   S’il n’oïſt ou véiſt la voir,

                   Qu’au mengier font clorre lor huis ?

                   Si m’ait Deus je ne m’en puis

                   Taire kant dient ci huiſſier :

                   « Or fors mes ſires vuet mangier. »

[9] Maubailliz, malmené, en triste position.

[10] Ce vers, mis au présent, prouve que cette pièce fut réellement envoyée à saint Louis alors en Afrique. Quelle réponse y fit ce prince ? Et y répondit-il ? — Je l’ignore.

[11] Do pour dou. Le mot est ainsi dans le manuscrit.

[12] Saint Paul. — Le nom de cet apôtre arrive là pour former, avec le mot pou (peu) qui précède, une espèce de jeu de mots. Cette plaisanterie se rencontre fréquemment chez la plupart des auteurs de cette époque ; Gauthier de Coinsy surtout en abuse étrangement.

[13] Je crois qu’il faut expliquer ici le mot credo par : crédit, prêt. Le poëte dit qu’il lui est ôté, interdit (dévéeiz). L’Histoire littéraire de la France, t. XX, dit, en parlant de cette pièce : « Les quatre douzains dont elle se compose inspirent un sentiment de pitié ; on y touche à nu la misère du poëte. Il termine pourtant encore, par un jeu de mots ; mais au lieu d’un sourire, il semble qu’on ne voie sur son visage que des pleurs. »

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