Achille Jubinal, Les Ordres de Paris
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première
  fois par Achille Jubinal, Nouvelle édition revue et corrigée, A. Jubinal, 1874 : Paris, Paul Daffis, vol. 1, pp. 187-201.
   
  Les Ordres de Paris[1].
  Mss. 7615, 7633.
   
1 En non de Dieu l’eſperité
2 Qui treibles eſt en unité
3 Puiſié-je commencier à dire
4 Ce que m’es cuers m’a endité ;
5 Et ce je di la vérité,
6 N’uns ne m’en doit tenir à pire.
7 J’ai coumencié ma matire
8 Sur ceſt ſiècle, qu’adès empire,
9 Où refroidier voi charité ;
10 Auſis ſ’en vont ſans avoir mire
11 Là où li diables les tire
12 Qui Dieu en a déſérité.
   
13 Par maint ſamblant, par mainte guiſe
14 Font cil qui n’ont ouvraingne apriſe
15 Par qu’ils puiſſent avoir chevance ;
16 Li un veſtent coutelle griſe[2]
17 Et li autre vont ſans chemiſe[3] :
18 Si font ſavoir lor pénitance.
19 Li autre par fauce ſemblance
20 Sont ſigneur de Paris en France ;
21 Si ont jà la cité pourpriſe.
22 Diex gart Paris de meſchéance
23 Et la gart de fauce créance,
24 Qu’ele n’a garde d’eſtre priſe !
   
25 Li Barré[4] ſont près des Béguines :
26 Xxix. en ont à lor voiſines
27 (Ne lor faut que paſſer la porte)
28 Que par auctorités devines,
29 Par eſſamples & par doctrines
30 Que li uns d’aus à l’autre porte,
31 N’ont povoir d’aler voie torte.
32 Honeſte vie les deſporte
33 Par jeûnes & par deceplines,
34 Et li uns d’aus l’autre conforte :
35 Qui tel vie a ne ſ’en reſſorte,
36 Quar il n’a pas gite, ſans ſignes.
   
37 L’ordre as Béguines eſt légière[5] ;
38 Si vous dirai en quel manière :
39 En ſ’an iſt bien por mari prandre ;
40 D’autre part qui baiſſe la chière
41 Et a robe large & plenière,
42 Si eſt Béguine ſans i randre ;
43 Si ne lor puet-on pas deffandre
44 Qu’eles n’aient de la char tandre
45 S’eles ont .i. pou de fumière
46 Se Diex lor vouloit pour ce randre
47 La joie qui eſt ſans fin prandre,
48 Sains Lorans l’acheta trop chière[6].
   
49 Li Jacobin ſont ſi preudoume
50 Qu’il ont Paris & ſi ont Roume,
51 Et ſi ſont roi & apoſtole,
52 Et de l’avoir ont-il grant ſoume.
53 Et qui ſe muert, ſe il ne’s noume
54 Pour exécuteurs, ſ’âme afole[7] :
55 Et ſont apoſtre par parole.
56 Buer fu tés gent miſe à eſcole :
57 N’uns n’en dit voir, c’on ne l’aſoume :
58 Lor haine n’eſt pas frivole.
59 Je, qui redout ma teſte fole,
60 Ne vous di plus mais qu’il ſont home.
   
61 Se li Cordelier pour la corde
62 Puéent avoir le Dieu acorde,
63 Buer ſont de la corde encordé[8].
64 La Dame de miſéricorde,
65 Ce dient-il, à eus ſ’acorde,
66 Dont jà ne ſeront deſcordé ;
67 Mais l’en m’a dit & recordé
68 Que tés montre au diſne cors Dé
69 Semblant d’amour qui ſ’en deſcorde :
70 N’a pas granment que concordé
71 Fu par un d’aux & acordei
72 Un livre dont je me defcorde[9].
   
73 L’ordre des Sas eſt povre & nue,
74 Et ſi pareſt ſi tart venue
75 Qu’à envis ſeront fouſtenu[10].
76 Se dex ot teil robe veſtue
77 Com il portent parmi la rue,
78 Bien ont ſon habit retenu :
79 De ce lor eſt bien avenu.
80 Par un home ſont maintenu[11] ;
81 Tant comme il vivra Dex aiue !
82 Se mors le fet de vie nu,
83 Voiſent lai dont il ſont venu :
84 Si voiſt chaſcun à la charrue[12].
   
85 Li Rois a mis en .i. repaire,
86 Mais ne ſai pas bien por quoi faire,
87 Trois cens aveugles route à route[13].
88 Parmi Paris en vat trois paire ;
89 Toute jour ne finent de braire
90 Au .iij. cens qui ne voient goute.
91 Li uns ſache, li autre boute :
92 Si ſe donent mainte ſacoute,
93 Qu’il n’i at nul qui lor eſclaire.
94 Se fex i prent, se n’et pas doute,
95 L’ordre ſera brullée toute ;
96 S’aura li Rois plus à refaire[14].
   
97 Diex a non de filles avoir[15],
98 Mais je ne puis onques ſavoir
99 Que Dieux éuft fame en ſa vie.
100 Se vos créez menſonge à voir
101 Et la folie pour ſavoir,
102 De ce vos quit-je ma partie.
103 Je di que ordre n’eſt-ce mie,
104 Ains eſt baras & tricherie
105 Por la fole gent decevoir.
106 Hui i vint, demain ſe marie ;
107 Li lignaiges ſainte Marie
108 Eſt plus grant que ne ſu erſoir[16].
   
109 Li Roi a filles à plantei[17],
110 Et ſ’en at ſi gant parentei
111 Qu’il n’eſt n’uns qui l’oſaſt atendre,
112 France n’eſt pas en orfentei ;
113 Se Diex me doint boenne ſantei,
114 Jà ne li covient terre rendre
115 Pour paour de l’autre deffendre :
116 Car li Rois des filles engendre,
117 Et ces ſilles refont auteil.
118 Ordres le truevent Alixandre,
119 Si qu’après ce qu’il ſera cendre
120 Sera de lui .c. ans chantei.
   
121 La Trinitei pas ne deſpris[18] :
122 De quanqu’il ont l’année pris
123 Envoient le tiers à meſure
124 Outre meir membre les pris.
125 Ce ce font que j’en ai apris,
126 Ci at charitei nete & pure ;
127 Ne ſai c’il partent à droiture.
128 Je voi deſai les poumiax[19] luire
129 Des manoirs qu’il ont entrepris.
130 C’il font de la teil forneſture.
131 Bien oeuvrent ſelonc l’Eſcriture :
132 Si n’en doivent eſtre repris.
   
133 Li Vaux des efcoliers[20] m’enchante
134 Qui quièrent pain & ſi ont rente
135 Et vont à chevaul & à pié.
136 L’Univerſitei la dolante,
137 Qui ſe complaint & ſe démante
138 Trueve en eux petit d’amiſtié,
139 Ce ele d’ex éuſt pitié,
140 Mais il ſe ſont bien acquitié
141 De ce que l’Eſcriture chante :
142 « Quant om at mauvais reſpitié,
143 Trueve l’an puis l’anemiſtié ;
144 Car li mauz fruiz iſt de male ente. »
   
145 Cil de Chartrouſe ſont bien ſage,
146 Car li ont leſſié le bochage
147 Por aprochier la bone vile[21],
148 Ici ne voi-je point d’outrage :
149 Ce n’eſtoit pas lor éritage
150 D’eſtre toz jors en iteil pile.
151 Noſtre créance tourne à guille,
152 Menſonge devient Évangile,
153 N’uns n’eſt mais ſaux ſans béguinage ;
154 Preudons n’eſt créux en concile,
155 Nès que .ij. genz contre .ij. mile :
156 A ci douleur & grant damage
   
157 Tant com li Guillemin eſturent[22]
158 Là où li grant preudome furent
159 Sà en arrière comme rencluz,
160 Itant ſervirent Deu & crurent ;
161 Mais maintenant qu’il ſe recrurent,
162 Si ne les dut-on croire plus.
163 Iſſu ſ’en ſont comme conclus :
164 Or gart uns autres le rendus
165 Qu’il en ont bien fet ſe qu’il durent,
166 De Paris ſunt .i. pou en ſus :
167 S’aprocheront de plus en plus ;
168 Ceſt la raiſons por qu’il ſ’eſmurent.
   
  Explicit le Dit des Ordres.
 

[1] Cette pièce n’a pas de titre dans le Ms. 7633. Elle a été imprimée dans le recueil de Contes et Fabliaux, publié par Barbazan et Méon, t. II, p. 293, édit. de 1808. On lit à son propos et au sujet dé la Chanson des Ordres, ce qui suit dans le Discours de M. Daunou Sur l’état des lettres au treizième siècle (t. XVI, de l’.Hist. littér. de la France) : « Les cris ou crieries de Paris ont fourni à Guillaume de la. Villeneuve la matière de cent-quatre-vingt-quatorze vers qui retracent d’anciens usages, soixante-neuf vers anonymes contiennent la liste des Moustiers, c’est-à-dire des monastères ou plutôt des églises de la capitale. On y voit qu’au commencement du règne de Philippe-le-Bel, le nombre de ces édifices était de soixante-et-onze ; mais Rutebeuf ne s’est point borné à de simples nomenclatures, dans sa chanson sur les Ordres de Paris, non plus que dans la pièce en cent soixante-huit vers sur ces mêmes Ordres ; il entend par ce mot les couvents d’hommes et de filles. Il n’était pas homme à traiter un pareil sujet sans se livrer à son humeur satirique. »

M. Paulin Paris qualifie cette pièce de « satire de circonstance, faite à la demande des écoliers et que semble excuser la liberté des jours qui précèdent le Carême. » N’en déplaise au savant académicien, rien ne prouve qu’elle ait été composée à la requête des écoliers, et elle ne se ressent pas plus du mardi-gras que les pièces qui la suivent ou qui la précèdent. Ce sont les mêmes reproches, les mêmes invectives, que nous retrouvons çà et là dans les œuvres de Rutebeuf, ainsi que dans la plupart des trouvères de cette époque. Je dis ailleurs (par conjecture), pourquoi notre poète s’y montre si modéré envers les écoliers. (Voy. la pièce intitulée : Les Plaies du monde.) Cette pièce est, selon toute probabilité, de l’an 1260, car il y est fort question des querelles de ce temps-là ; d’autre part, notre poëte y lance un brocard assez malicieux aux béguines établies à Paris en 1258 seulement, ainsi qu’aux Quinze-Vingts fondés par saint Louis à la même époque.

[2] Les Cordeliers, qui étaient habillés de gros drap gris, avec un capuchon et un manteau de même couleur. .

[3] Les Jacobins (Noyez la 10e strophe de la pièce intitulée : Le Dit des Jacobins, et, dans le premier volume du nouveau Recueil de Méon Le Dis de la vessie à prestre.)

[4] Ancien nom donné aux Carmes, parce que leurs habits étaient divisés par bandes blanches et noires, ou barres transversales. J’ajouterai que ces religieux tirent leur premier nom d’un monastère considérable qui existait sur le Mont-Carmel. Ils furent établis en France par saint Louis, en 1254, au retour de son premier voyage en Terre-Sainte, ainsi que le prouve une lettre de Philippe-le-Bel de l’an 1322, à laquelle on pourra désormais ajouter les vers de Rutebeuf. Les Barrés demeurèrent d’abord à l’endroit qui fut nommé plus tard les Célestins, et qui est aujourd’hui une caserne. C’était alors un lieu fort étroit, avec une église fort basse, un cimetière et quelques petits jardins. Ils en sortirent au bout de 58 ans, après avoir démontré à Philippe-le-Long qu’ils étaient trop loin de l’Université, dont ils ne pouvaient suivre les leçons, et que chaque hiver leur communauté, qui était située sur le bord de la rivière, courait risque d’être emportée par les eaux. Ils furent transportés à la place Maubert ; mais jusquelà, selon la maligne expression de Rutebeuf, on put dire d’eux : Li Barré sont près des Béguines, car ces religieuses demeuraient alors à côté d’eux, dans l’endroit qui en 1461, fut nommé l’Ave -Maria, et dans lequel la reine Charlotte, deuxième femme de Louis XI, introduisit le tiers-ordre de Saint-François.

[5] « De toutes les congrégations et communautés séculières, dit le Père Hélyot dans son Histoire des ordres monastiques, il n’y en a pas de plus ancienne que celle des Béguines ; car, soit qu’on rapporte leur origine à sainte Begghe, soit qu’on leur donne pour fondateur Lambert-le-Bègue, elles ont précédé toutes les autres.» Pierre Coens, chanoine d’Anvers, auquel on doit un petit, livre intitulé Disquisitio historica de origine Beghinarum (1629), dit qu’elles se divisèrent d’abord en trois ordres, dont l’un vivait sans être astreint à aucune règle particulière, et tenait le milieu entre la vie séculière et la vie monastique. Il est probable que les Béguines établies à Paris par saint Louis en 1258 se rattachaient à cet ordre. Pierre Coens dit d’elles en effet : « Virgines vestales romanae umbram quamdam exhibent Beghinarum ; ad perpetuam enim castitatem non erant astrictae, sed, evoluto certo tempore, licebat eis redecere et matrimonium inire. Plus loin, il se demande si les Béguines jouiront dans la vie éternelle de l’auréole de gloire, et il n’ose répondre affirmativement, quod institutum Beghinarum non requirat votum aut propositum perpetuae castitatis, sed solum quo tempore erunt Beghinae. Ces paroles expliquent très-bien les reproches de Rutebeuf, et prouvent que les Béguines n’étaient pas, comme on l’a cru, un ordre de vierges.

[6] On sait que ce saint, qui était diacre et trésorier de l’Église sous le pontificat de Sixte II, en 258, lors de la persécution de Valérien, fut déchiré à coups de fouet par les mains du bourreau, et attaché ensuite à un gril de fer sous lequel on plaça des charbons ardents.

[7] Ces vers de Rutebeuf viennent confirmer une allégation dont on n’était pas très-certain : les Jacobins, dès leur arrivée à Parts, furent accusés d’un esprit d’intérêt et d’avidité fort grand. Crevier, dans son Histoire de l’Université, dit : « lis s’attiroient la confiance des mourants : legs pieux, droits même de sépulture, tout étoit pour eux. » Duboullay a écrit aussi la même chose. Rutebeuf, dans le Dist des Jacobins, revient encore sur ce reproche.

[8] Le cordon de saint François, fondateur des Cordeliers, est devenu proverbial.

[9] Allusion à l’Évangile éternel, qui avait été prêché publiquement par les Cordeliers et qu’on attribuait à Jean de Parme, leur général. (Voyez La Complainte de Constantinoble.) Jean de Parme, afin d’éviter le scandale qui aurait flétri son ordre, lors de la condamnation du livre (ce qui fait croire qu’il pourrait bien en être l’auteur), fut obligé de se défaire de son généralat. Luc Wading, dans ses Annales de l’ordre des Franciscains, a cherché à le disculper du premier de ces faits en disant que l’auteur de l’Évangile éternel était un Jean de Parme autre que le général de l’ordre ; mais cette raison est d’autant moins concluante qu’il n’allègue aucune preuve en sa faveur.

[10] L’ordre des Sacs, ou des Frères-Sachets, en latin ordo Saccorum, Fratres de Sacco, Saccati, etc., fut établi à Paris par saint Louis, en 1261, dans la paroisse Saint-André-des-Arcs. Ce prince donna même au curé de cette paroisse, pour le dédommager des droits qu’il perdit en accordant aux Frères le droit d’avoir une église, 66 sous parisis de rente sur la prévôté. L’origine de cet ordre est fort obscure ; mais ce qui prouve qu’il ne remontait pas haut, c’est que Mathieu Paris, à l’année 1257, en parle comme d’un ordre de nouvelle création et jusque-là inconnu en Angleterre. (Ignotus et non praevisus.) Le Moustier des Frères aux Sas, comme dit la pièce intitulée : Les Moustiers de Paris (Méon, t. II, page 291), était situé à l’endroit où furent plus tard les Augustins après la dispersion des Sachets, ce qui serait à peu près aujourd’hui le bout du Pont-Neuf.

[11] Ms. 7615. VAR. Souſtenu. — L’homme dont parle le poëte est le roi.

[12] Rutebeuf répète souvent cette idée générale dans plusieurs de ses pièces.

[13] Ms. 7615. VAR. toute à rote. — Vers 1258, saint Louis fonda l’hôpital des Quinze-Vingts dans une pièce de terre qu’il acheta exprès aux environs de la rue Saint-Honoré et de celle du Roule. Cette maison, ainsi nommée du nombre de ses habitants (quinze fois vingt, ou trois cents), était déjà construite en 1260. En 1270, saint Louis dota cet hôpital de 30 livres parisis de rente sur son trésor, et ordonna que le même nombre d’aveugles y serait conservé. Il honora plusieurs fois ce lieu dé sa présence, et y assista à l’office que l’on y faisait solennellement le jour de saint Remi. Belleforest et plusieurs autres écrivains ont prétendu que saint Louis fonda cet hôpital pour trois cents chevaliers à qui les Sarrazins avaient crevé les yeux pendant sa captivité ; mais personne avant eus n’avait parlé de ce fait, ni Guillaume de Nangis, ni Robert Gaguin, ni Paul-Émile, ni Joinville, qui cependant mentionnent la fondation de l’hôpital. Fauchet, qui, ayant été possesseur du Ms. 7615, connaissait la pièce de Rutebeuf, dans son livre intitulé Recueil de l’origine de la langue et poésie française, page 161, que la strophe de notre trouvère lui fait soupçonner « que ceux que saint Louis amassa aux Quinze-Vingts ne furent chevaliers, ains quelques pauvres gens, car ceſtuy-cy les fait mendians. »

[14] Comme on voit, Rutebeuf attribue cet établissement (et peut-être fait-il de même pour les autres fondations de saint Louis) moins à une Véritable charité qu’à un besoin d’agitation. Je ne crois pas qu’il faille prendre ses critiques à la lettre. On voit dans Le dit des crieries de Paris, que les aveugles allaient criant par les rues : « Du pain cels de Champ-porri ! » Ainsi s’appelait en effet l’emplacement où ils furent établis.

[15] Comme on donnait anciennement aux hôpitaux les noms d’Hôtel-Dieu et de Maison-Dieu on appelait aussi celles qui y demeuraient Filles-Dieu et Enfants-Dieu. Saint Louis fonda, sous ce nom, une maison à Paris, où il mit plus tard deux cents religieuses en leur assignant 400 livres parisis tous les ans sur son trésor. Cette maison était hors de la ville, entre Saint-Lazare et Saint-Laurent. Les voeux que prononçaient les Filles-Dieu n’étaient point irrévocables.

[16] Ersoir, hier soir. — Le Ms. 7633 saute ce. vers, et donne pour celui qui vient après la leçon suivante :

                   Eſt hui plus grans, qu’il n’ière arſeir.

[17] Outre les Filles-Dieu de Paris, saint Louis fit encore de grands biens à celles de Rouen, d’Orléans, de Beauvais, etc. : c’est probablement ce qui fait dire à Rutebeuf que ce prince a des filles à plaintei, c’est-à-dire : en quantité, en profusion.

[18] Cette strophe ne se trouve pas au Ms. 7615. — L’ordre de la Trinité fut fondé en 1198, sous Innocent III, par Jean de Matha et Félix de Valois, que Philippe-Auguste protégea tous deux. Cet ordre fut établi afin de travailler à la rédemption des captifs. Deux ans après leur fondation, en 1200, les Trinitaires, dans une seule année, en tirèrent d’esclavage cent quatre-vingt-six. Comme ils avaient à Paris un couvent dont la chapelle était consacrée à saint Mathurin, on leur donna le nom de ce saint, et comme d’après leur première règle, qui était fort sévère, il leur était interdit de se servir de chevaux pour leurs quêtes et leurs voyages, le peuple les appela Mathurini asinorum. Un registre de la chambre des comptes, de 1330, nomme ceux qui habitaient à Fontainebleau les Frères des ânes de Fontainebliaut, et Rutebeuſ dit, dans La Chanson des Ordres (voyez la strophe 7e) : D’asnes ont fet roncin. En outre la pièce intitulée : Les Mouſtiers de Paris (voyez Méon, t. II, pag. 291), désigne leur ordre sous le nom de la Trinité aux aſniers. Méon a donc eu tort de mettre en note : « On ne peut rendre compte de cette épithète aſniers. » II n’y a rien au contraire de plus facile. Les frères de la Trinité finirent par posséder environ deux cent cinquante couvents divisés en treize provinces ; ils, eurent pour armoiries huit fleurs de lis d’or, et l’écu timbré de la couronne de France supporté par deux cerfs blancs.

[19] Peumiax, pommeau, sommet ; espèce de petite boule peinte qui surmontait le toit.

[20] Le Val-des-Écoliers (Vallis scholasticorum) était une congrégation de chanoines réguliers fondée vers 1200 par quatre professeurs en théologie, Guillaume, Richard, Evrard et Manasès. Elle fut établie d’abord dans une vallée, entre la Bourgogne et la Champagne, où ses adhérents, auxquels se joignirent un grand nombre d’écoliers, ce qui lui fit donner son nom, pratiquèrent la règle de saint Augustin. Cette congrégation fut confirmée par le pape Honorius III et vint s’établir à Paris vers 1228. Saint Louis la dota de 30 deniers par jour., d’un muid de blé à prendre tous les ans dans les greniers de Gonesse, de deux milliers de harengs le jour des Cendres, à la foire des Brandons, et de deux pièces d’étoffe de vingt-cinq aunes chacune ; la reine Blanche donna, pour le bâtiment de l’église, une somme de 300 livres.

[21] En 1257, les Chartreux, dont l’ordre existait depuis près de 280 ans, et que saint Louis avait fait venir à Gentilly, à une lieue de Paris, s’y trouvant « incommodés par les fréquentes viſites qu’ils y recevoient » (Grand Colas, Hist. de l’Université de Paris), et alléguant, selon Félibien, pour être transportée plus près de la capitale, que « la doctrine qui se répandoit de cette ville dans toute l’Église feroit refleurir leur ordre, » prièrent le roi saint Louis de leur accorder l’hôtel de Vauvert, qui était dans un lieu servant de retraite aux voleurs. On disait même qu’il était occupé par de malins esprits, ce qui faisait que personne n’y voulait loger. Saint Louis leur en ayant représenté les incommodités, ils lui firent répondre qu’il était plus convenable à leur état, qu’ils y recevraient moins de visites, et qu’ils espéraient que par leurs jeûnes ils en éloigneraient les démons qu’on disait y être. Josseran, leur prieur, avec sept religieux, y entra le 21 novembre 1258, et la communauté n’y fut pas plutôt établie que les mauvais esprits disparurent. « Leur but, dit Félibien, était probablement de s’attirer, par la proximité de Paris, un bon nombre d’excellents sujets de l’Université. Il paraît, du reste, que l’ordre des Chartreux, qui avait des règles très-sévères, était assez estimé au treizième siècle, car Rutebeuf ne leur adresse aucun reproche grave, et la Bible au seignor de Bèze (page 403, 2e vol. de Méon), dit en parlant d’eux :

                   C’eſt une des Ordres du mont

                   Où l’en puet mains de mal noter,

                   Se n’eſt de cuer & de penſſer ;

                   Mès aus œvres & aus ſemblans

                   Pert-il qu’il ſoient boues gens.

La Bible Guiot de Provins (Méon, même volume, page 350), s’étend beaucoup sur eux et ne les blâme que de leur dure manière de vivre, ce qui fait dire à Guiot que dès le premier jour il prendrait son congé s’il faisait partie de leur ordre, et que si on ne voulait pas le lui donner, il saurait bien trouver par où il ferait le saut.

[22] Voyez, pour la signification de ce vers et des suivants, la note de la dernière strophe intitulée : La Chanson des Ordres.

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