Achille Jubinal, De Brichemer
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première
  fois par Achille Jubinal, Nouvelle édition revue et corrigée, A. Jubinal, 1874 : Paris, Paul Daffis, vol. 2, pp. 1-5.
   
  De Brichemer,
  ou
  C’est de Brichemer[1].
  Mss. 7218, 7615.
   
1 Rimer m’eſtuet de Brichemer
2 Qui jue de moi à la briche :
3 Endroit de moi je l’ doi amer ;
4  Je ne l’ truis aeſchars ne chiche :
5 N’a ſi large juſqu’outre mer,
6 Quar de promeſſe m’a fet riche :
7 Du forment qu’il fera ſemer
8 Me fera anc’ouan flamiche.
9 Brichemer eſt de bel afère ;
10 N’eſt pas uns hom plains de deſroi :
11 Cortois & douz & debonère
12 Le trueve-on, & de bel aroi ;
13 Mès n’en puis fors promeſſe atrère,
14 Ne je n’y voi autre conroi[2] :
15 Autele atente m’eſtuet fère
16 Com li Breton font de lor roi[3].
17 Ha, Brichemer ! biaus très douz ſire,
18 Paié m’avez courtoiſement,
19 Quar voſtre bourſe n’en empire,
20 Ce voit chaſcuns apertement ;
21 Mès une choſe vos vueil dire
22 Qui n’eſt pas de grand couſtement
23 Ma promeſſe fetes eſcrire ;
24 Si ſoit en votre teſtament.
   
  Explicit de Brichemer.
 

[1] Legrand d’Aussy a donné le texte de cette pièce au tome V des Notices des manuscrits, pages 412- 414, en l’accompagnant des réflexions suivantes :

« Cette pièce, purement littéraire, n’a rien d’historique ; je la donne comme un monument de notre ancienne poésie, et spécialement comme un indice certain du progrès qu’avait déjà fait l’art de la rime vers le milieu du XIIIe siècle.

J’ai dit ailleurs (Fabliaux, discours préliminaire, 2e édition, page 108), en parlant du mélange régulier des rimes masculines et féminines, que nos modernes avaient tort d’en attribuer l’usage aux poëtes du XVIe siècle, et de regarder ces écrivains comme les premiers qui en eussent donné l’exemple et fait une règle ; j’ai dit, et je l’ai prouvé par des citations, que plus de trois siècles auparavant nos vieux rimeurs le connaissaient, et qu’ils l’employaient même souvent, quoiqu’il ne fût point encore établi en loi.

Le Brichemer de Rutebeuf va en offrir une preuve nouvelle : il est composé de trois stances, chacune de huit vers sur deux rimes, masculine et féminine, redoublées et croisées.

L’Épître elle-même n’est point sans talent : on y trouvera un badinage assez léger pour son temps, de l’harmonie dans la versification, de la finesse et de la gaieté dans la raillerie, et même un mérite qu’on ne s’attend pas à y trouver, celui de la grâce et du bon ton. Elle peut donner une idée des poésies fugitives d’alors. »

Je ne sais si Brichemer est le nom d’un individu existant à l’époque de Rutebeuf, et son débiteur, ce qui est peu probable (il aurait été plutôt son créancier), ou un nom supposé, comme les poëtes en emploient souvent dans leurs épigrammes, ou enfin un nom allégorique sous lequel on pouvait au XIIIe siècle découvrir à qui s’adressaient, les vers de notre trouvère. Tout ce que je puis dire, c’est que dans le Roman du Renart le cerf s’appelle Brichemer.

Quant à la briche, c’était un jeu qu’on jouait assis, et, par conséquent, à l’aise. C’est, je crois, le sens dans lequel il faut entendre ici ce mot. Le supplément du Glossaire de Ducange , au mot Bricolla, en cite plusieurs exemples que voici : « Aucunes bachelettes jouoient d’un jeu appelé la briche , et quant le suppliant et Mathieu Burnel approuchèrent près d’eulx, Andrieu d’Azencourt print hors des mains des dites bachelettes le baston duquel bricher devoit. » Litt. remiss., an 1408. — Aliæ, an 1411 : « Plusieurs gens qui jouoient au geu de brische et gesant à terre », etc. — Litt. remiss., an 1450. — Lesquelles filles jouoient à ung jeu de la bricque... ; et plus loin « les dites filles assises au dit jeu de la bricque. »

M. Paulin Paris qualifie notre pièce de jolie, et ajoute : « Qu’on y trouvera de l’esprit. et même une sorte de grdce dans les derniers vers. » En effet , le sens des deux derniers est très-fin, et l’on peut dire que la pièce entière est un charmant badinage.

[2] Ms. 7615. Var. Je n’i voi mès autre conroi — Conroi, dessein.

[3]Parmi les prophéties qu’on attribuait à l’enchanteur Merlin, il y en avait une qui annonçait qu’Artus, ce roi des Bretons si fameux dans nos romans de chevalerie, n’était pas mort réellement comme on le croyait, qu’il reviendrait un jour régner de nouveau sur la Grande-Bretagne, et qu’alors il la rendrait la plus florissante des monarchies. En conséquence de cette prédiction, les Anglais soupiraient après la venue du grand roi Artus, comme les Juifs après celle du Messie, et cette attente était devenue proverbiale et dérisoire. On la citait pour exprimer une espérance qui ne doit jamais se réaliser :

                   Et Britonum ridenda fides, per ſæcula multa

                   Arturium expectat, expectavitque perenne.

                               J. Isacanus Angulus. — De Bello trojano.

                   Cil qui ſ’afole à eſcient

                   Avec les Bretons puet attendre

                   Artus qui jamais ne venra.

                               (Vie des Pères.)

M. Paulin Paris, au vers 6e de la page 238 du premier volume de Garin le Loherrain, a placé la note suivante : « Plusieurs manuscrits ajoutent ici ces deux vers, qui me semblent une interpolation du Jongleur :

                   Comme as Bretons qui déſirent toudis

                   Li roi Artu qu’eſt dou ſiècles parti.

Si le poëme original contenait ces deux vers, il ſaudrait en conclure que les fables de la Table ronde ont été connues en France aussi anciennement que les romans des Douze Pairs ; mais les meilleures leçons et les plus anciennes ne les donnent pas. »

M. Francisque Michel, page 75 des notes de son introduction au recueil de ce qui reste des Poëmes de Tristan, déclare qu’il ne partage pas cette opinion, et essaie de la réfuter par quelques exemples.

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